Tunisie : «Ti amo» tue le père

Cartes sur table, Hamlet et ses cavaliers, convertis en riders, jouent leur destin dans une partie de poker. Sur du metal, du jazz ou du disco, les personnages de Shakespeare font leur come back dans «Ti Amo», spectacle syrien présenté aux JTC 2009.

Imaginez un «Hamlet» vêtu intégralement en noir, avec un grand tatouage tribal sur le dos. Cape en fourrure et ceinture argentée, le personnage culte de Shakespeare revient sur scène en 2009, dans une version moderne. Ophélie, Roméo et Juliette ont fait un comeback fracassant sur la même scène dans une même pièce de théâtre, mardi 17 novembre, au Théâtre Municipal de Tunis. C’est «Ti Amo», une pièce syrienne, qui a réincarné tous ces personnages mythiques du 4ème art. Mise en scène par Raghda Chaârani, ce spectacle a été présenté dans le cadre de la 16ème édition des Journées Théâtrales de Carthage. A 16h, la bonbonnière a commencé à se remplir. Après une demi-heure, la salle était comble. Le public tunisien déserte souvent ses théâtres. Mais cette fois-ci, il semble séduit par les visages familiers de «Ti Amo» vus dans les séries télé arabes à succès, telles que la saga syrienne de «Bab El Hara».


Parodier la tragédie !

Sur une scène nue, sous un éclairage sombre, Hamlet se lance dans un monologue époustouflant. La tragédie shakespearienne est à l’honneur mais la déconstruction ne tarde pas à prendre place pour en faire une comédie. Soucis de modernité exige. Vidéos, musique et danse donnent plus de fraicheur et de vivacité à l’action. Ebouriffant. Loin d’être une adaptation de l’œuvre de Shakespeare, ce spectacle théâtral exploite ces outils pour distiller les traits de caractère d’un personnage ou renforcer la succession des faits. Dans «Ti Amo», la vidéo n’est pas une composante à part, mais un élément investi au sein même de la mise en scène. Les images défilant sur l’écran relatent des événements se déroulant simultanément sur la scène, en dialogue ininterrompu. Les vidéos amortissent même la décomposition de la tragédie. Une nécessité imposée par l’approche moderniste. Ainsi, Hamlet, sur scène, retire son téléphone portable et appellent ses cavaliers. Plus de fantastiques chevauchées pour ces hommes. Les cavaliers sont reconvertis en riders. Roulements de batterie et cris de black metal résonnent dans la salle. La vidéo met en scène ces motards habillés en noir et tatoués.

Shakespeare en smurf

Au-delà des vidéos, la musique est intelligemment exploitée dans la pièce et sert souvent à mieux sculpter les portraits des personnages. Du jazz pour le cavalier raffiné qui défile sur «Fever». Le père de Hamlet est dans la nostalgie des oldies avec «Daddy Cool», morceau culte de la musique disco. Même la danse n’y était pas uniquement pour le show. Smurf, break ou danse orientale, Raghda Chaârani essuie les larmes des personnages de Shakespeare. «Ti Amo» nous fait rire de l’ironie du sort plutôt que pleurer un destin tragique. Un percussionniste rythme la pièce scène par scène, avec sa batterie ou sa tabla.

Entre rouge et noir, l’esthétique scénique puise dans l’obscurité du noir enflammé par une touche d’un rouge passionnel. Aussi sombres que soient les personnages, l’amour peut jaillir du fond d’eux à n’importe quel moment de la pièce. La noblesse et la froideur du noir froid est réchauffée par la luxuriante flamme érotique du rouge. Ophélie et Roméo sont amoureux. Juliette tombe sous le charme de Hamlet. La nudité de la scène noire rend un ultime hommage au règne de l’anarchie.

En s’attaquant à Shakespeare, Raghda Chaârani a tué le père. Ce que gagnerait à faire nos «théâtreux» tunisiens.


Thameur Mekki

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