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Ibrahim Maalouf au festival Carthage 2025 : quand la trompette chante amour, joie et mémoire

Ibrahim Maalouf au festival Carthage 2025 : quand la trompette chante amour, joie et mémoire

Vous connaissez ces hommes qui font chanter les trompettes ? Les mélomanes évoqueront Louis Armstrong, ce géant au sourire d’or qui nous fredonnait What a Wonderful World,  nous faisait rêver avec Dream a little dream of me ou encore Summertime.

Les puristes se souviendront de l’exubérant Dizzy Gillespie, au souffle infini et aux joues mythiques, qui fit résonner l’inoubliable Night in Tunisia, devenu un standard du jazz.
Et comment ne pas citer Miles Davis, le maître du cool jazz, le musicien imprévisible derrière des titres mythiques comme My Funny Valentine et Round Midnight…

Derrière sa trompette, Miles Davis révéla des talents devenus eux-mêmes des légendes et inspira des centaines d’artistes à travers le monde. Dans l’ombre lumineuse de ces géants, une nouveau son s’élève, directement influencé par la légende du jazzman américain, celui d’Ibrahim Maalouf, invité du Festival International de Carthage 2025.

Ce virtuose originaire du Liban, issu d’une famille d’artistes, musiciens et hommes de lettres, a été nourri dès son plus jeune âge de cette tradition jazz mais sa musique demeure profondément ancré dans ses racines orientales, offrant des compositions aux mille visages intime, festive, engagée.

Accompagné des musiciens de The Trumpets of Michel-Ange, Ibrahim Maalouf a embrasé le théâtre antique de Carthage en débutant avec le titre “Love Anthem”, un morceau solaire et dansant. Dans un souffle, il invite la foule à se lever, à danser, à célébrer l’union sacrée “Ce soir, nous allons nous marier !” a-t-il scandé.

Le ton est donné! Sur scène, l’énergie de ce titre est communicative, les musiciens complices arrivent à séduire le public conquis dès les premières secondes. La genèse de cette composition Love Anthem remonte au propre mariage d’Ibrahim Maâlouf avec la chanteuse libanaise Hiba Tawaji.

Le clip de Love Anthem, partagé sur YouTube, met en scène des enfants danseurs originaires d’Ouganda et membres du collectif Fire K Stars, récompensés à de multiples reprises. C’est eux qui, en contactant Maalouf, l’ont sollicité pour danser sur une de ses compositions. Il leur a envoyé ce morceau vibrant, le résultat est une personnification de cet hymne à la joie collective.

Tout au long du concert, Ibrahim Maalouf partage anecdotes et émotions. Il évoque la naissance de son dernier album, Trumpets of Michel-Ange, conçu comme une bande-son de l’amour. C’est ainsi que les titres phares de l’album The Proposal, est inspiré de la demande en mariage, Zajal, est un hommage à la poésie arabe, Fly With Me, est une invitation à l’aventure à deux, Au Revoir, referme le cycle dans la douceur.

À chaque morceau, l’intimité du récit résonne dans l’amphithéâtre. Une danseuse sénégalaise sublime les prestations musicales, tandis qu’une mise en scène épurée laisse toute la place à l’essentiel : la musique.

Instrumentalement, le concert est aussi un plaidoyer. Ibrahim Maalouf joue sur une trompette à quatre pistons, invention de son père Nassim Maalouf, dans les années 60. Ce quatrième piston permet de restituer les subtilités du Tarab et du maqâm oriental – ces micro-intervalles qui donnent à la musique arabe toute sa profondeur émotionnelle.

Avec son projet T.O.M.A (Trompette Of Michel-Ange), l’artiste souhaite que des générations de trompettistes accèdent à cet instrument, en adhérant à une académie gratuite ouverte aux musiciens du monde entier. Une volonté de transmission, d’ouverture et de partage.

En fin de concert, un moment suspendu s’est imposé, Ibrahim Maalouf prend encore la parole pour dire ‘En tant que père de Trois enfants, en tant qu’homme né sous les bombes à Beyrouth, je ne peux pas ne pas penser à Gaza’…
Les présents allument les torches de leurs téléphones dans un silence recueilli. Une mer d’étoiles illumine Carthage. Une pensée, une prière, un espoir.

Le concert se conclut sur une note de mémoire : “Saalouni El Nass”, chanson de Ziad Rahbani, récemment disparu, interprétée à l’origine par sa mère Fairouz. Sur scène, Maalouf et le guitariste François Delporte entament ce morceau culte.

Le public chante sans qu’on le lui demande à l’unisson, les voix se mêlent. Un hommage vibrant à un compositeur de génie, à une époque, à une mémoire commune. C’était beau de dire adieu au grand Ziad Rahbani en chantant justement son tout premier titre composé à 14 ans, et qui est devenu aujourd’hui un classique intemporel de la chanson arabe.

Ce soir-là à Carthage, la trompette d’Ibrahim Maalouf a chanté l’amour, la douleur, la joie de vivre et a envoyé de l’espoir. A la manière de Miles Davis, le libanais quitte la scène de Carthage en courant, avant ses musiciens. Serait-ce un hasard, un clin d’œil à une habitude de la légende américaine ou simplement pour faire applaudir le plus possible ses accompagnateurs, qui ont été mis en avant avec des solos insolites? on ne le saura pas.

L’enfant de Beirut célèbre en 2027 ses 20 ans de carrière. On gardera d’Ibrahim Maâlouf que, tout comme les grands Miles, Dizzy ou Armstrong, il fait partie de ces musiciens virtuoses capables de faire chanter non seulement un instrument, mais tout un public en chœur.

Sara Tanit

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