Tunisie : Avec Facebook, «Dima Labess» !

«En Tunisie, nous avons deux cultures qui s’opposent. Rotana contre Iqra» dit Nejib Belkadhi. Ce sera le sujet brûlant de son prochain film. Et voilà que l’artiste cartonne même sur Facebook.


« En Tunisie, nous avons deux cultures qui s’opposent. C’est Rotana contre Iqra ». C’est ainsi que Nejib Belkadhi dénonce le danger qui guette notre culture populaire face à l’invasion télévisuelle Moyen-Orientale. Ce sera d’ailleurs le sujet de son prochain film. Nejib Belkadhi, c’est aussi l’un des rares artistes tunisien qui a su tirer pleinement profit des nouvelles technologies et du réseau social Facebook. Est-ce le moyen que Nejib Belkadhi a trouvé pour rester dans la course face à une concurrence toujours plus acharnée dans le microcosme de la télé ? Le créateur ébouriffant de Shams Alik, Dima Labess et Weld ettalayan, l’homme qui a fait de VHS Kahloucha une star du cinéma, a bien voulu répondre aux questions de Tekiano, dans les locaux de sa boite de production Propaganda. Interview.

-Pourquoi avez-vous mis les épisodes de Shams Alik et Dima Labess sur Facebook ?

L’idée de mettre


Shams Alik
 sur le net m’est venue suite à une envie de laisser une trace de cette émission pour les nouvelles générations qui ne l’ont pas connue durant les années 90. J’ai opté pour Internet comme moyen de diffusion. D’ailleurs, le net m’a permis de satisfaire la demande croissante du public qui souhaitait revoir la série en DVD. Ce dont je n’ai pas le droit. Pourquoi ? Parce que je ne détiens de l’émission que le droit artistique et intellectuel (vu que c’est ma création) mais le vrai propriétaire de l’émission est Canal + Horizons, qui, comme vous le savez, a été liquidée.

Je crois qu’Internet et la technologie numérique sont des outils formidables pour le travail d’un artiste. Aux Etats-Unis ou en France par exemple, tout le patrimoine audiovisuel a été non seulement numérisé mais aussi mis à la disposition du public grâce à Internet. Ce que nous n’avons pas encore en Tunisie. Ceci, dans le cas où nous aurions tout notre patrimoine audiovisuel bien conservé sur support analogique !


En ce qui concerne


Dima Labess
 et à la différence de Shams Alik et de Weld Ettalyana, j’ai joué un peu avec les facebookeurs en alimentant le suspense. C’est la raison pour laquelle j’ai posté les épisodes quotidiennement comme pour une diffusion télévisée normale. J’ai aussi animé le groupe par plusieurs interventions. Ceci a créé une grande communauté en un temps record.

-C’est vous qui avez mis Weld Ettalyana sur Facebook aussi ?

Non, je n’ai pas cherché à le mettre en ligne puisque ce sont des fans qui l’ont fait à ma place. Les épisodes étaient uploadés au fur et à mesure de la diffusion de l’émission sur Tunis 7. Ceci ne m’a pas étonné vu que tout le monde a accès aux technologies numérique (bon débit d’upload, les cartes sat/TV, les logiciels de montage, etc.).

-Etes-vous surpris par les réactions des Tunisiens sur Facebook ?

A vrai dire, je ne m’attendais pas à un tel succès sur le net. J’ai été un peu dépassé. Par exemple, la communauté facebookienne qui s’est formée autour de Shams Alik m’a appris beaucoup de choses que je ne réalisais pas, avant la publication des épisodes sur ce réseau social. En effet nous comptons parmi les membres du groupe des jeunes qui ont suivi Shams Alik alors qu’ils étaient à peine adolescents lors de la diffusion de l’émission. C’est une preuve que le concept a su parler à toutes les tranches d’âge et non uniquement aux adultes!


– Il y a un épisode marquant de Shams Alik à propos du divorce qui a fait réagir les foules sur Facebook. Avez-vous eu la même réaction à l’époque de la diffusion ?

C’est sur Facebook qu’on a réalisé que cet épisode a bien marqué les esprits grâce au nombre incroyable des retours. A l’époque, je n’ai pas considéré cet épisode comme l’un des plus marquant de Shams Alik mais je me suis rendu compte, grâce à Facebook, qu’il n’a pas laissé les gens indifférents. De toute façon, tous les épisodes de cette série ont fait réagir les Tunisiens. On le voyait dans la rue et dans le flux d’appels sur le centre téléphonique de Canal + Horizons. Chaque mercredi, une vague déferlante de téléspectateurs donnaient leurs impressions, entre encouragements et insultes. Il faut savoir que Shams Alik ne faisait pas l’unanimité auprès des Tunisiens. Elle a brisé beaucoup de tabous à la télévision tunisienne. Un choc pour un public pas habitué. Nous en avons souffert !

– Quelle est la critique la plus dure qu’on vous ait adressée ?

Le plus dur dans ce métier n’est pas la critique mais plutôt l’incompréhension. Je me rappelle dans le temps que Dima labess a causé une tempête médiatique. Des journalistes se sont insurgés en disant que j’ai introduit la télévision réalité. Or Dima Labess n’est pas une télé réalité, mais plutôt une fiction. Ils n’ont pas vu ce qui a été pointé du doigt dans cette série. Par le biais de la famille Derbali, j’ai voulu montrer une famille tunisienne typique, complètement névrosée. L’audience de Facebook a donné un autre son de cloche, différent de celui de la presse. C’est là qu’on voit l’intérêt de Facebook : il nous donne un feedback quasi instantané. Des gens qui ne peuvent faire entendre leur voix dans la presse imprimée. Ceci dit, je dois avouer que j’ai senti plus d’incompréhension envers Weld Ettalyana.

– Comment expliquez-vous le manque de succès de Weld Ettalyana par rapport à el Icha Makrouna ?

Parce que l’émission était très différente, Icha Makrouna est plus une série de gag qu’autre chose. Avec Weld Ettalyana j’ai voulu faire réfléchir le téléspectateur avec des animations, de la BD, des photos. Je considère que Weld Ettalyana est le travail le plus abouti de toute ma carrière. Il y a plein de références à des films internationaux mélangé avec un humour absurde à l’anglaise.

D’ailleurs, l’agence de communication de l’Epi d’or ont mené une étude sur l’audience de Weld Ettalyana et ont trouvé que cette émission a segmenté le marché en deux : 35 % de gens l’ont adorée contre 60 % qui l’ont refusé en bloc. Ceci a impacté aussi la communauté facebookienne en déclenchant une guerre de classe. Des groupes de fans de Weld Ettalyana et des groupes anti-weld Ettalyana ont été formés à mon insu ce qui a déclenché une véritable « lutte des classes ». Les premiers voyaient qu’il faut avoir un certain niveau intellectuel pour comprendre le programme et les autres les traitaient de snobinard ! Ça a causé un clash énorme.


– Vous qui avez l’œil critique sur la société Tunisienne depuis 10 ans, dans la rue et sur le net, comment trouvez-vous la mentalité tunisienne ?

Je trouve que la mentalité a énormément régressé. Nous assistons à une dilution de la culture populaire. Maintenant nous observons deux cultures opposées en Tunisie : la culture Rotana contre la culture Iqra. Un certain néo obscurantisme est en train de gagner la jeunesse tunisienne à cause des télévisions du Moyen-Orient et ça a des effets désastreux sur nos jeunes. Ça sera par ailleurs le sujet de mon prochain film.

-Qu’appréciez vous le plus chez les Tunisiens ?

Leur sens de l’humour.

– Depuis quand êtes-vous sur Facebook ?

Depuis un an et demi. Je l’ai découvert grâce à des amis. J’ai résisté au départ, mais j’ai fini par succomber à son charme.

-Utilisez-vous Facebook faute d’avoir pu réellement percer à la télé ? Surtout que certaines sociétés de production semblent avoir le vent en poupe.

Je ne suis pas passé sur Internet pour combler un besoin de faire de la télé. L’Internet représente l’avenir et je pense qu’il faut toujours avoir une longueur d’avance sur la concurrence.

-Que pensez-vous du piratage ?

Nous avons beaucoup souffert du piratage avec la sortie du film Kahloucha dans les salles de cinéma. La semaine où le DVD contrefait est sorti, les visites en salle ont chuté. Les salles de cinéma tunisiennes en souffrent de la gravure CD en général. La preuve : elles sont en train de fermer les unes après les autres. Nous avons à l’heure actuelle que 14 salles pour 10 millions d’habitants. Le pire, est que les gens n’y vont plus parce qu’ils préfèrent regarder les films sur des CD ou DVD confortablement chez eux.

-En d’autres termes vous êtes contre ?

Je ne suis ni pour ni contre. Le problème est qu’on ne peut pas appliquer un modèle économique qui n’est pas adéquat à la Tunisie. Notre pouvoir d’achat n’est pas le même qu’en Occident. Si on veut sauver notre patrimoine culturel, il faudra appliquer la loi 96 à propos des droits d’auteurs et du piratage. Et trouver un modèle économique viable pour notre pays.


– Canal + s’apprête à entrer sur le marché tunisien avec un nouveau bouquet. Qu’en pensez-vous, surtout après l’échec de Canal + Horizons ?

Ce n’est pas la même chose que Canal + Horizons. Le retour de Canal + dans les pays du Maghreb intervient dans la perspective de contrer le piratage (ndlr : la Dreambox) du bouquet Canal Sat. Ils ne vont pas faire des productions tunisiennes destinées au marché local comme l’a fait Canal + Horizons.

-Actuellement vous faites seulement du cinéma?

Nous faisons surtout du tournage de publicité. Ça permet de faire vivre ma boite de production Propaganda mais aussi de financer nos prochains films.

-Que pensez-vous de la soirée grand prix de la communication organisée par Pro de la com’ ?

Je trouve que c’est une initiative très intéressante parce que ça va créer de la compétition entre les agences de com’ pour hisser la qualité des publicités en Tunisie. De plus, ceci valorisera davantage le travail des agences et des réalisateurs.

– Etes-vous un geeks ?

Je ne suis pas un geek, je suis plutôt technophile.

– Etes-vous Mac ou PC ?

J’ai longuement travaillé sur des Mac à l’époque de Canal Horizons. Maintenant je suis 100% PC.

– Un dernier mot pour les internautes tunisiens ?

Soyons plus tolérants. Et attendez-vous à voir le reste des épisodes de Shams Alik sur Facebook.

Propos recueillis par Welid Naffati

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