Tunisie: Hérauts de guerre ou supporters ?

Commando, Brigades Rouges, Cartouches… C’est le nouveau vocabulaire des supporters de football en Tunisie. D’autres parlent ouvertement de racisme et de régionalisme. A la veille du choc Espérance-Etoile… On joue avec le feu.

En Tunisie, les matchs de football se jouent aussi, et de plus en plus sur les gradins et dans les virages enflammés. Les nouvelles technologies sont utilisées pour frapper les esprits et galvaniser le moral des supporters. Les images se suivent et se ressemblent. Photoshop est mis à contribution pour réaliser des montages d’images de propagande. Guerrière. A l’image de cette photo mettant en scène Ben Chikha, l’entraineur du Club Africain, sous les traits d’un officier commando, mitraillette à la main, encadré de deux de ses joueurs en para-commandos.


Sur une autre, que l’on a choisi de ne pas publier pour son caractère excessivement violent, la mise en scène rappelle celle adoptée par les groupes extrémistes en Afghanistan. Un supporter espérantiste est placé derrière un joueur au maillot étoilé. Un détail : l’espérantiste tiens un couteau à la main, et le joueur de l’étoile, au visage masqué est agenouillé, les mains menottées. Il s’agirait donc d’égorger purement et simplement les rivaux de l’équipe adverse. Simple farce de mauvais goût isolée ? Ou s’agirait-il plutôt de l’illustration des paroles de la chanson « Wel mkacha5 irhebi » (Espérantiste terroriste) ? Des paroles que l’on retrouve à longueur de forums, et de blogs.

Ouvertement raciste

D’autres évoquent carrément une « idéologie », soutenue à longueur de pages web sur Facebook. Les membres de la « Brigade Rouge » des supporters de l’Etoile annoncent ouvertement la couleur : « notre groupe s’est affilié de plus en plus dans une conception régionaliste sahélienne qui considère que Sousse est la Capitale du Sahel Unissant tous les Swahlias et les étoilés de toutes les autres villes proches. Désormais, certains vont jusqu’à adopter l’abréviation de la BRS (Brigade Rouge de Sousse) pour marquer cette nouvelle idéologie ». On lit, sur la même page « La Brigade ne se laisse pas faire, reste fière et s’accroche « racistement » à ces projets régionalistes ». « Racistement », donc. Un néologisme inventé pour la circonstance, pour souligner et même revendiquer le caractère raciste du groupe. Et encore, il ne s’agit pas ici des propos les plus radicaux de ce « manifeste » publié sur Facebook (voir ici).


On parlerait de microcosme, d’une minorité de supporters particulièrement agités, s’il n’y avait cette multiplication d’articles mis en ligne, de vidéos, de chansons, de forums.

Fanfare militaire ?

La musique, devenue familière, en Tunisie, ressemble plus à une fanfare militaire composée en temps de guerre, qu’à des chansonnettes façon coupe du monde made in FIFA. Ici, les hymnes à l’esprit sportif, à la fraternité n’ont pas leur place. Les slogans et les paroles des chansons sont à l’avenant. On y parle de cartouches, de mort, de terrorisme, histoire d’allumer le feu dans les gradins. « el 3assima bledou bel kartouch endourou » (la capitale est sa patrie, on défile avec des cartouches) sont les paroles scandées par les plus acharnés « supporters » du Club Africain. Des images d’hélicoptères et de débarquements militaires. Les explosions sèches des armes à feu en bruit de fond martial et assourdissant (voir ici).


Les exemples nauséabonds abondent. Des mini clips vidéo sont ainsi bricolés avant d’être mis en ligne sur les nombreuses plateformes disponibles. MySpace, Wideo, sont utilisés pour diffuser à grande échelle les trouvailles de nos apprentis-sorciers du stade.


Le problème, et depuis que les clans de supporters recrutent dans les écoles primaires, c’est que les dérapages ne sont plus exclus. Mais s’agit-il réellement de dérapages quand on appelle aussi ouvertement à la haine ? Quand on fait l’éloge du régionalisme le plus réactionnaire, pour exacerber des passions aussi primaires ? Attention danger !

Ce qui nous a d’ailleurs valu une tribune choc publiée l’année dernière dans un hebdomadaire tunisien. Un éditorial hallucinant pour ceux qui ne connaissent pas les dessous chocs du football tunisien… Mais en définitive, à jouer inconsidérément avec le feu, on risque de s’y brûler. Et pas seulement à cause des pétards et autres fumigènes de nos stades.

Lotfi Ben Cheikh

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