Tunisie : Cauchemardesque conte de fées

La maison est plus qu’un simple lieu de tournage. Elle incarne l’homme au pouvoir, tirant sa légitimité de sa force : les murs. Vieux, partiellement démolis et aux contours froissés par le temps, ils SONT le pouvoir. Au ciné, «Dowaha» de Raja Amari !

Dans un manoir à l’abandon, trois femmes frôlent les murs sombres et usés par le temps, des murs cachant tant de secrets. Pas moyens de les révéler ou même de flirter avec les vérités longtemps confinées dans l’obscurité. Ces secrets ne sont pas aussi usés que les murs qui les conservent. Dire même qu’ils parviennent, semble-t-il, à consumer Radia et sa mère. A leur tour, ces deux femmes s’associent aux murs pour continuer à conserver les secrets. Dans cet univers sinistre, Aicha est soumise au pouvoir de ses oppresseurs. Bienvenue à «Dowaha», nouveau long métrage tunisien réalisé par Raja Amari.

Atypique, entre thriller et film noir

«Dowaha» (Les Secrets) sera dans les salles de cinéma tunisiennes à partir du jeudi 03 décembre. Le film a été projeté pour la presse, lundi 30 novembre, à la salle du CinémAfricArt. Installé face au grand écran, on ne tarde pas à glisser dans l’univers proposé par le film. Dans un suspense atypique, «Dowaha» vacille entre le film noir et le thriller mais finit par se libérer de toutes les étiquettes l’affiliant à un genre cinématographique ou à un autre. Une spécificité, en genre et en traitement, distillée par la réalisatrice suite à une réflexion émanant de la société dont elle est issue. «Je voulais travailler sur l’idée du secret de famille, tous ces non-dits qui tissent les histoires familiales. C’était pour moi très intéressant que ce soit les femmes qui sont les gardiennes de ces secrets» confirme Raja Amari. Les gardiennes de ces secrets ? Radia, interprétée par Sondes Belhassen et sa mère, interprétée par Wassila Dari. Pour le suspense, pas besoin de détective qui fouille dans les vieux dossiers ni de malédiction dictée par un rituel tribal d’antan. Pas de serial killer psychopathe comme il se doit dans les films de «genre» (justement) à l’américaine. Le film puise plutôt dans le non-dit à travers le décor, l’éclairage et un silence rarement interrompu par le dialogue.


Dictature d’un manoir

La maison hôte des événements du film est bien plus qu’un simple lieu de tournage. Elle incarne même un personnage, l’homme au pouvoir, tirant sa légitimité de sa force : les murs. Vieux, partiellement démolis et aux contours froissés par le temps, peu importe leur âge. Ils s’agrippent au pouvoir, ils SONT le pouvoir.

Avec une esthétique témoignant d’une vieille noblesse, mais ne portant aucun projet, ni ambition. Le seul projet étant de se maintenir au pouvoir. Les gardiennes des secrets ne sont que des outils lui permettant de réaliser cet obscur dessein. La victime du pouvoir n’est autre qu’Aicha, interprétée par Hafsia Herzi. C’est la sœur de Radia. L’éveil des sens vécu par Aicha est l’élément catalyseur entre ces personnages.

Pour certains, «Les Secrets» évoquent l’émancipation d’une femme. Mais Aicha aurait pu être un homme, un chien battu par son maitre, un droit non obtenu, une voix muselée. Il s’agit tout simplement d’une entité à la recherche de son identité. A travers l’obscurité du sous-sol, le spectateur peut déduire la classe sociale à laquelle appartiennent ces trois femmes. Paradoxalement, l’éclairage du premier étage où s’installe les nouveaux résident du manoir se réfère aussi à leur classe sociale. On nagerait presque dans les eaux glauques d’un cauchemardesque conte de fées. Avec des références aussi claires qu’une soirée gala pour le bal, aussi éclatantes que les chaussures rouges amarantes, jaunâtre comme la jalousie d’une sœur …

Un clin d’œil appuyé à Cendrillon par Raja Amari. L’univers du conte de fées berce «Dowaha». Mais dans ce film, Aicha n’avait même pas le droit de sortir ni à midi, ni vers minuit. La venue d’une fée (Rim El Banna) et d’un prince charmant (Dhafer L’Abidine) qui ne fut jamais le sien ne l’a pas libérée. Au contraire, c’est la rencontre entre la fée et les oppresseurs qui l’ont poussée au massacre. Un mal nécessaire pour passer de l’obscurité torturée du sous-sol d’un vieux manoir-mouroir, en pleine campagne, aux lumières de l’Avenue Habib Bourguiba en plein de Tunis. Sous le règne de l’anarchie, tant de sang et de folie pour le semblant d’une liberté meurtrie !


Thameur Mekki

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