Tunisie : Chômage technique d’une administration scénique

La surveillance est constante, l’espace sous contrôle. L’une des comédiennes, au centre de la scène finit par briser le silence : «Je ne sais pas ce qui m’arrive» ! «Rien ne va changer, le journal d’hier est celui d’aujourd’hui» répond son collègue.

Tic Tac…Tic Tac…Le silence règne sur une scène sombre à El Teatro. Dans une ambiance sinistre, le bruit de l’horloge pointant sur 8h05 du matin est bien plus imposant que la présence statique de huit comédiens. C’était «Pain quotidien», l’une des dernières productions d’El Teatro. Mise en scène par Nawfal Azara, la représentation de cette pièce créée sous la direction artistique de Taoufik Jebali, s’est tenue, vendredi 05 février, dans le cadre d’«Avant Première», rendez vous annuel des jeunes créateurs du théâtre tunisien. Créée avec le soutien de l’Institut Goethe, «Pain quotidien» est une adaptation de l’œuvre de l’allemande Gesine Danckwart.

Stagnée en mode MS-DOS !

Fréquence radio instable, frappes discontinues sur la machine à écrire, dossiers poussiéreux et documents fossilisés sur les étagères, on ne tarde pas à comprendre qu’il s’agit d’une administration. Radio panarabe, francophone ou tunisienne, la fréquence ne cesse de changer. Indifférents, les fonctionnaires restent statiques. Il n’y en a qu’un, le parfait imbécile heureux du service, qui commence à rire quand la fréquence radio bascule sur un sketch made by Mosaique FM.

Même l’ordinateur du chef de département est en mode MS-DOS. Base des systèmes d’exploitation grand public de Microsoft, MS-DOS est devenu invisible depuis 1995, date d’apparition de Windows 95, pour finir par être abandonné à l’avènement de Windows XP qui marque son abandon réel par Microsoft au profit du système NT, en 2001. Mais MS-DOS, non visible depuis 1995 et abandonné en 2001 arrive toujours à prendre place dans l’administration tel que l’a vu Nawfal Azara dans sa création. Au delà du dialogue, la scénographie et le jeu d’acteur, les accessoires utilisés dans «Pain quotidien» étaient aussi expressif que sa mise en scène.

Monotonie, frustration et…caricatures

Au début de la pièce, pendant plus que dix minutes, les huit comédiens présents sur scène restent immobiles alors qu’un homme à l’allure d’un inspecteur squatte les allées de la salle et se faufile entre les rangées. De temps en temps, sa tête pivote, il scrute de son regard caché derrière des lunettes noires un des spectateurs et le prend en photo. En cas de soupçons, il dégaine son appareil photo et le braque sur l’audience. La surveillance est constante, l’espace sous contrôle. L’une des comédiennes, au centre de la scène finit par briser le silence : «Je ne sais pas ! Je ne sais pas ce que j’ai…Je ne sais pas ce qui m’arrive» !

«Rien ne va changer, Le journal d’hier est celui d’aujourd’hui» répond leur collègue. Et le service sombre de nouveau dans le silence. Au bout de la première réplique osée, faisant allusion à une sorte d’abandon de la monotonie, la frustration des fonctionnaires éclate.

Alors que l’un d’entre eux se met à détacher sa ceinture, deux de ses collègues se mettent à simuler des orgasmes. Un moment d’évasion, de jouissance, dans l’enfer de la monotonie et du spleen quotidien.

Téléphone en main, le directeur du département semble être moins confus que ses employés. Il savoure avec un air narcissique le café qui lui est servi par le lèche-botte typique. Au chevet de son bureau, un citoyen attend que le boss lui accorde de l’intérêt. «Numéro 40 guichet 5», répète la boite vocale. Et l’attente infernale continue jusqu’à virer au burlesque…

Lourde, très lourde pièce de théâtre, sans être pour autant indigeste. La lourdeur en question ne reflète au final que l’indigence de nos caricatures d’existences, tordues, tiraillées, déchirées, comme de la paperasse d’administration.

Thameur Mekki

Crédit photos : Hamdi Hadda

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