Tunisie : La fièvre acheteuse achève le cinéma

90 salles de cinéma en 1985 contre 19 en 2010. Le Capitole est devenu une boutique de vêtements. Les Champs Elysées ? C’est désormais une pizzeria. Le vieux Ciné Soir ? Une friperie. La culture ne fait pas le poids face à l’avancée de l’industrie gargotière et fripière.

C’est la fin de la période des soldes ! La foule ne cesse d’envahir la grande boutique de la ligne de vêtement, «Zara», à l’Avenue Habib Bourguiba, cœur battant du centre ville de Tunis. La mémoire collective tunisienne nous rappelle que, pendant de longues années, cette surface aujourd’hui commerciale avait une vocation complètement différente, avant de devenir, depuis presque trois mois, une boutique de vêtement. Il s’agit du cinéma «Le Capitole».

De l’autre côté de la même avenue, les nuages de fumée planent au dessus de la terrasse du café-pizzeria «Les Champs Elysées». Il y a des années, ce lieu était une salle de cinéma portant le même nom. L’an précédent, les cinéphiles tunisiens ont été aussi marqués par la restriction de l’espace du Ciné Jamil du côté d’El Menzah 6. La superficie de cette salle de cinéma a été divisée en un café, une salle de fête et de conférence et…une petite salle de cinéma. Sans parler des autres salles de cinéma qui ont fermé tel que le vieux Ciné Soir détruit pour céder ses lieux à une friperie.

«Notre objectif est de faire exister le cinéma dans la légalité et essentiellement dans la cité…de dire que c’est possible de programmer des films de qualité à Tunis» déclare Habib Bel Hedi, producteur, distributeur et exploitant de la salle du CinémAfricArt. Récupéré par Arts Distribution depuis 2007, cette salle est un des rares lieux d’où jaillit une lumière de cinéphilie en Tunisie. «La salle de cinéma n’est pas une boutique qui vend des projections. La salle de cinéma a un rôle important dans la cité. C’est ce qu’on défend…On ne défend pas un commerce, on défend une présence sociale du cinéma dans la ville de Tunis» martèle-t-il.

SOS Cinéma, cri avant l’agonie

«90 salles en 1985 contre seulement 19 aujourd’hui entre fonctionnelles et non-fonctionnelles» c’est ce que révèle l’étude faite par Zied Kochbati, étudiant en design graphique à l’ESSTED. Une démarche qui s’inscrit dans le cadre de son Projet de Fin d’Etude. Il s’agissait, pour ce jeune designer de réaliser les supports graphiques pour «une campagne de sensibilisation contre la désertion des salles de cinéma en Tunisie».

Salle comble ou presque ! Ça n’arrive pas souvent dans les salles de cinéma en Tunisie. Pourtant, le CinémAfricArt était quasi-plein, le dimanche 16 février 2010 à 15h30. Il ne s’agissait pas de la première d’un nouveau film tunisien ni de l’arrivée d’un blockbuster hollywoodien sur un grand écran tunisien. C’était plutôt un cri pour la survie du septième art en Tunisie !

«S.O.S Cinéma», ainsi s’intitule l’événement organisé par Zied Kochbati qui ne s’est pas contenté de créer les supports graphiques nécessaires pour la campagne objet de son PFE. «L’idée de cet événement aurait pu s’arrêter à une étape théorique, mais j’ai voulu concrétiser ma théorie et voir l’impact de ma campagne de sensibilisation sur le grand public» déclare ce designer en herbe. Pour l’occasion, trois films dont deux court métrage tunisiens, «Le Projet» de Dali Nahdi et «Lazhar» de Bahri Ben Yahmed, et un long métrage palestinien, «Le Temps qu’il reste» d’Elia Suleiman, ont été projetés au CinémAfricArt. Et la présence d’un nombre important de spectateurs témoigne d’une certaine réactivité au cri de détresse lancé par ce jeune cinéphile. «Cette action vise à réinstaller l’habitude de «sortie cinéma» chez le public Tunisien et à aider les propriétaires à couvrir les dépenses des entretiens et tout le reste» explique le jeune étudiant.

Salons de thé, boites de nuit ou restaurants se remplissent alors que les salles de cinéma ferment l’une après l’autre. Les gardiens des temples cinématographiques ont de plus en plus de mal à défendre leurs territoires, face à l’inexorable avancée de l’industrie gargotière et fripière.

Thameur Mekki

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