Tunisie : Cinéma ruiné, entre stade et mosquée

Vendredi, on va à la mosquée. Dimanche et parfois même samedi, on sort pour aller au stade. Et on s’entasse, tous les jours, dans les cafés. De Tunis à Zarzis, le cinéma coincé et ruiné est complètement délaissé. Reportage en marge de l’avant-première du doc de Zran.

Plan fixe sur une salle de cinéma en ruines. Deux jeunes hommes sont accroupis sur ses marches. En silence. Statique, cette image aux couleurs fades ne tarde pas à laisser place à une autre. On se retrouve dans le vacarme des gradins. Le bendir et autres percussions saturent l’ambiance au stade de Zarzis. Si la salle de cinéma est désertée, le stade est plein à craquer. Pas de jeunes mélancoliques et désespérés ni de murs usés par le temps et par la négligence des concernés. Le dynamisme et la bonne humeur sont les mots d’ordre au stade. Les images expressives se suivent. Au bord de cette côte méditerranéenne, les gens ne trouvent plus de place pour prier dans la mosquée. Ils en ont trouvé sur les trottoirs d’en face. Dans «Zarzis», long métrage documentaire de Mohamed Zran, ces images s’enchainent sans commentaires. Voici que le réalisateur ouvre une parenthèse dans son film pour zoomer sur l’épidémie de la fermeture des salles de cinéma en Tunisie.

Souvenirs poussiéreux

Après l’avant-première de ce film, tenue à Zarzis, on a profité de notre présence dans la ville pour voir ce qui reste dans la mémoire des habitants de la région comme souvenirs de cette salle de cinéma. On a croisé un jeune au début de la vingtaine. Il ne sait même pas qu’il s’agit d’une salle de cinéma. «C’est un vieux bâtiment. Il y avait une cellule du RCD. Et voilà maintenant, c’est en ruines» dit-il. D’autres en gardent quelques souvenirs. Un routier sillonnant les villes du sud tunisien nous en parle : «Ça fait longtemps ! Je ne l’ai visité qu’une seule fois en 1984». Un quinquagénaire accroupi sous un mur nous raconte avec regret : «On était content d’avoir cette salle. C’était une sorte d’échappatoire pour que les jeunes se divertissent. Et depuis qu’ils l’ont délaissée, il y a presque 25 ans, on n’a plus de cinéma à Zarzis». Encore une fois, l’industrie gargotière achève le cinéma. «On part dans les cafés. Chacun est habitué à en fréquenter un. Il y a aussi ceux qui partent à Djerba. Les plus aisés passent leurs soirées dans les hôtels de la région» dixit Kais alias Sagon, 33 ans, marin. «On a besoin d’un cinéma dans la ville, un grand Colisée comme celui de Tunis» revendique-t-il.

Le cinéma renait de ses ruines ?

Quel serait le sort de cette salle ? «Il y a eu des procès avec son ex propriétaire et la municipalité. C’est une propriété municipale et ils ont dit que la mairie va la rouvrir» c’est ce que répondent les habitants de la région. On affirme même que cette salle de cinéma était bien fréquentée. D’ailleurs, au cours de la conférence qui a suivi l’avant première du film, un Tunisien résident en France a été très touché par les images filmées par Zran. Après avoir pris le mot pour le féliciter, il ouvre les vannes de la mémoire. «Mon père a fait don de la salle de cinéma au profit de la municipalité. Le bon vieux Ali Jabloun y projetait des films en 1952 et 1953. Il le faisait même avec son propre appareil sur le mur, juste devant la mosquée» raconte-il.

Puisqu’il s’agit d’une propriété municipale, on s’est renseigné sur le sujet auprès de la mairie de Zarzis. On l’a contactée quand on y était, samedi 13 mars. Mais il était au stade, trop occupé par les préparatifs du match de foot opposant le club de foot local, à savoir l’Espérance Sportive de Zarzis au ténor de la capitale, le Club Africain. De retour à Tunis, on l’a contacté par téléphone. «La salle de cinéma est fermée depuis plus de 25 ans. Elle est en ruine maintenant. On a pensé à un projet de réaménagement. Il est fort probable qu’elle soit intégrée dans un centre commercial. On compte consacrer à la culture et aux arts un étage tout entier dans ce centre» déclare Mokhtar Dakhli, maire de Zarzis. Il alterne : «Ce projet est encore une idée. On va l’étudier. Le passage à l’action est imminent. On n’a pas de dates fixes mais ça ne va pas tarder à être mis en place».

«Zarzis est une ville touristique à la base. Mais depuis que le nouveau conseil municipal a été mis en place, on a réservé beaucoup d’importance à la culture à travers l’appui et la promotion des festivals organisés périodiquement dans la région». Espérons que l’intérêt réservé aux dunes de sables et aux rayons de soleil laisse un peu de place à la culture dans la ville de Zarzis. Il serait tellement plus agréable de ne pas bronzer idiots.

Thameur Mekki

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