Tunisie : Qui veut la peau de Balti ?

Du web aux médias officiels, «Passe-partout» de Balti a créé un buzz. Voilà que Lotfi Abdelli et deux rappeurs viennent surfer sur sa vague. Défendent-ils «nos femmes émancipés» ou cherchent-ils une opportunité pour avoir de la notoriété ? Autopsie d’un phénomène rap-médiatique.

 «Désolé frère Balti. Avec mes propos, je ne cherche pas à te trahir. Mais je suis là juste pour rectifier le tir (…). Tu as écorché (la dignité) de beaucoup de filles» lance l’acteur Lotfi Abdelli au rappeur tunisien Balti dans «Chawahtou som3et lebled». Pour la création de ce morceau de rap, l’acteur s’est entouré de deux rappeurs : Emino et Dj Costa.

Dans «Chawahtou som3et lebled» (vous avez souillé la réputation du pays, en français), ce trio réagit à «Passe-partout» de Balti et défend «nos femmes émancipés». Or, le morceau polémique du rappeur le plus en vue de la scène hip hop tunisienne dresse le portrait d’une michetonneuse, une sorte de prostituée non-professionnelle. Ainsi, les clasheurs de Balti profitent du buzz amorcé par «Passe-partout» et surfent sur la vague contestataire qui a accompagné la sortie de ce morceau.

Ce que Balti qualifie de «Passe-partout» est une femme qui séduit pour se faire payer des sorties et des cadeaux, une femme déshéritée  qui vend son corps pour profiter d’une vie de luxe. Et puis, Balti, n’a rien d’un misogyne. Au contraire, il compte à son actif plusieurs morceaux en ode à la femme. On en cite «Pour nos princesses», «Petite Sœur» et «Mama».

Hypocrisie sans concession

Il semble que Lotfi Abdelli et ses deux partenaires confondent «femmes émancipées» et michetonneuses. Mais ce n’est pas tout ! Le fait que ce trio vienne défendre les femmes est pour le moins surprenant, et ce, d’autant plus que leur position contredit leur discours habituel.

Dans son one man show «Made in Tunisia», Lotfi Abdelli a tourné en dérision les filles tunisiennes trop fashion et addicts au monde la nuit. Quant à Dj Costa, les paroles de certains de ses morceaux, «Madame Elle» par exemple, expriment ses idées ouvertement sexistes et misogynes. Si on fouillait entre les lignes de ses morceaux, on ne tarde pas à tomber sur des lyrics inspirés d’une pensée fanatique, ultra-rétrograde et réellement discriminatoire à l’égard de la femme.

De son côté, Emino ne fait que chercher une manière de gagner sa vie grâce au rap. Une volonté que le très jeune rappeur exprime clairement dans l’un de ses derniers morceaux, «Mon royaume». Il y scande : «Si j’avais du fric, je n’aurai pas écouté de rap, je n’en aurai pas fait, je ne m’y serais même pas intéressé» (traduction des lyrics en français ; NDLR). Pour faire le buzz, tout les moyens sont bons, même s’il faut clasher l’un des pionniers du rap en Tunisie, à savoir Balti.

Surfer sur la vague d’un buzz

«Passe-partout», single de Balti extrait de son prochain album «Le Journal», a déjà fait un buzz sur le web. Et pour cause, un internaute a mis en partage le morceau dans une vidéo, constituée d’un montage photo affichant des clubbers tunisiennes. Les photos ont été récupérées du site, Tunis La Nuit. L’internaute en question a même été menacé de poursuites judiciaires.

La polémique a rapidement été répercutée sur les ondes de Mosaïque FM. La radio a playlisté «Passe-partout». En l’espace de deux semaines, deux émissions ont lancé des débats avec le buzz créé par «Passe-partout» comme accroche d’actualité. Pour commencer, l’émission «Mosaïque Show» a ainsi évoqué, vendredi 16 avril le «voyeurisme dans nos médias». L’émission «Forum» du vendredi 30 avril a aussi fait du même morceau de Balti le point de départ de son débat autour de l’image de la femme dans l’art tunisien.

Bingo ! Objectif atteint

Emino et Dj Costa, comme la majorité des rappeurs tunisiens, sont marginalisés par les médias nationaux. Lotfi Abdelli, lui, acteur ultra-médiatisé, n’a pourtant pour l’instant pas d’actualité chaude à se mettre sous la dent. Or sans nouvelles créations, les médias lui tournent le dos. La solution ? S’unir avec d’autres artistes en quête de visibilité et rejoindre les acteurs d’un phénomène médiatique d’actualité, histoire de faire un peu de «personal branding», à l’approche des festivals d’été. Clasher Balti peut représenter une belle opportunité pour booster sa popularité.

Quant à Costa, il est clair que l’émancipation des femmes n’est pas sa tasse de thé. Ses paroles discriminatoires à leur égard le prouvent. Emino, lui, a déclaré clairement que le rap ne l’aurait pas intéressé s’il ne lui servait pas à se remplir les poches. Et pour commercialiser sa musique, la première étape consiste à ce qu’elle soit playlistée dans une radio.

Bingo ! L’objectif est atteint. Lotfi Abdelli fait l’actu et les média en parlent. Le morceau d’Emino et de Costa a été playlisté sur Mosaïque Fm. Et ils sont arrivés à défrayer la chronique sur le web. Et ils ont eu aussi une part du buzz amorcé par Balti en faisant l’accroche d’actualité du débat de l’émission «Mosaïque Show» du mardi 18 mai.

Etre trash, ça rapporte ! Chercher la notoriété avec le clash s’avère porteur quitte à être en totale contradiction avec son discours habituel. Une position d’autant plus difficile à tenir que l’image du «deuxième sexe» est restée intacte dans le morceau de Balti. Au contraire, le rappeur n’a fait que dénoncer les pratiques immorales des michetonneuses. Et ce faisant, il n’a en rien écorné l’image de la femme, et de la société tunisienne en général.

Dans le cas présent, le discours à la «vous avez souillé la réputation du pays» touche aux limites du ridicule. Ces rappeurs sont censés être des dénonciateurs sans concession, des haut-parleurs de la rue. Leur objectif devrait être que «le pays» puisse exorciser ses maux. Paradoxalement, Lotfi Abdelli, Emino et Costa viennent clasher Balti, un rappeur dénonçant une épidémie sociale. Après plus d’une cinquantaine de concert en moins de six mois, se faire la peau de Balti s’avère un butin de valeur pour ses clasheurs….

Thameur Mekki

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