Tunisie : L’audience cannibale d’Hannibal TV

Sous le spot, deux jeunes hommes sont médiatiquement présentés comme des bêtes de foire. Il faut que le sang télévisuel coule pour satisfaire l’audience cannibale d’Hannibal TV. Sans concession, cette chaine TV déguise un Freak Show en émission sociale.

«Des cannibales», «des monstres», «un danger» ! C’est en ces termes que les internautes tunisiens ont qualifié Zied et Abdelkader. Ces deux jeunes hommes au comportement purement instinctif ont été présentés par l’émission «Fi Daerat Adhawâ» («Sous les projecteurs», en français). Diffusée, jeudi 20 mai 2010 à 20h45, sur Hannibal TV, l’émission a pris pour thème des «Chroniques bizarres». Et depuis, tout le monde en parle !

Le buzz autour des deux cas présentés par l’émission a éclaté pour laisser les foules effarées. A chaque fois que la vidéo est partagée sur les pages de Facebook, les commentaires explosent pour implorer «ellotf» (la miséricorde de Dieu). Présentée en tant qu’émission sociale, «Fi Daerat Adhawâ» a tourné au Freak Show.

Cannibaliser l’audience

Violon chialant, larmes, images glauques et témoignages chocs, les téléspectateurs ont eu droit à tout cela mais pas à la moindre intervention d’un expert habilité à décortiquer ces cas. Pour couronner le tout, un serveur vocal a été mis en place. Le numéro et la tarification squatte le bas de l’écran après chaque reportage aux images en décalage avec le concept original d’une émission de débat qui se respecte. De quoi semer le trouble parmi les rangs de l’audimat tunisien ! Quand un média joue le rôle du vampire, l’audience doit être cannibalisée…

«L’émission examine le cas de tous ses angles afin de vous montrer une image complète» affiche la présentation de ce programme sur le site officiel d’Hannibal TV (dans un français cassé). Et justement, trois «experts» étaient de la partie, sans qu’on ait «une image complète».

Mongi El Amri, prof de philo, était là pour répondre aux «profondes questions philosophiques» de l’animatrice Salwa Ben Noômen. Le journaliste Adel Kadri était aussi de la partie pour parler du «côté procédural» relatif aux cas présentés. Quant à Mohamed Ben Ammar, docteur en psychologie et psychothérapeute, il était sur le plateau de l’émission pour assurer la psychanalyse quand besoin s’en ressentait. Certes, un trio d’experts, mais aucun des trois bonhommes ne nous a pourtant éclairé par son expertise lors de ce débat.

«On ne comprend rien, que fait-on ici ?»

It’s Show Time ! Ça part dans tous les sens. Heureusement que les invités aux débats ont reconnu, tout de même, leur incapacité de répondre aux questions hantant la tête de tout téléspectateur après avoir regardé le reportage au sujet de Zied et Abdelkader.

«On n’a pas d’infos attestant qu’ils ont un déficit mental, qu’ils souffrent de troubles psychologiques bien déterminés. On n’a pas de diagnostic clair et précis. Tout ce qu’on sait est que tout le monde en parle et qu’il ne faut pas passer par le quartier où ils habitent» lance le chercheur en philosophie Mongi El Amri. Il a également exprimé le besoin de spécialistes dont l’apport au sujet pourrait être fructueux : «Ce qu’on vient de voir nécessite une étude scientifique approfondie. Et ce, dans plusieurs domaines…essentiellement le côté biologique. Il faut que cette spécialité intervienne». Et la même position a été prise par Dr Ben Ammar : «Aujourd’hui, on a besoin de l’intervention d’un généticien» relèvera-t-il.

Ils mangent de la viande crue, mordent leur mère jusqu’au sang (ils lui auraient même dévoré une partie son doigt) et ils agressent sans raisons leurs proches. C’est un Freak Show ! Mais ce type d’émission est un genre d’émission d’Entertainment (divertissement). Les Américains en ont abusé au point que ça soit devenu, aujourd’hui, carrément interdit par la loi comme ce fut le cas à l’Etat du Michigan.

Le génie des producteurs de «Fi Daerat Adhawâ» les a amenés à déguiser un Freak Show en émission sociale. Hannibal TV demeure douée en matière de feux d’artifice attirant l’audience… Quitte à se mettre sous la dent deux pauvres jeunes hommes pour mieux cannibaliser l’audimat.

Thameur Mekki

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