Tunisie: L’histoire falsifiée mise à nue par Ben Ammar

Les victimes de la Guerre de Bizerte de 1961 souffrent de leur passé. Les réfugiés des dégâts du terrorisme en Algérie aussi. La Guerre du Golfe de 1991 débarque. Et «Les Palmiers Blessés» saignent…en silence. Carthage en est le témoin.

«L’histoire est écrite par les vainqueurs». C’est autour de cette citation et les multiples questions qu’elle impose que le réalisateur tunisien Abdellatif Ben Ammar a brodé le scénario de son dernier film, «Les Palmiers Blessés». Ce long-métrage a été présenté en première mondiale, jeudi 8 juillet, au prestigieux amphithéâtre romain de Carthage. Fruit d’une coproduction tuniso-algérienne, «Les Palmiers Blessés» a eu l’honneur de la soirée d’ouverture du Festival International de Carthage.

Les événements du film se déroulent de 1990 à 1991. Chama, âgée de 30 ans, s’apprête à préparer son DEA en sociologie. Issue d’une famille pauvre, elle doit gagner sa vie pour pouvoir vivre et financer ses études. Et c’est Hechmi Abbes qui lui confie du travail. Pour le rencontrer, Chama doit se rendre à Bizerte, sa ville natale où elle a passé une bonne partie de son enfance et sa jeunesse.

Sa mission consiste à dactylographier un livre écrit par Hechmi Abbes. Il s’agit d’une autobiographie où cet homme évoque la Bataille de Bizerte de 1961. Mais il se trouve que le père de Chama est l’un des martyrs de cette guerre. Et c’est ainsi qu’une conjonction d’événements embarque la jeune fille dans une quête de vérité historique. Chama se retrouve en croisade face à la falsification de l’histoire. Ainsi, ce drame historique prend des allures de polar. Les flashs backs s’alternent. Et les souvenirs refoulés surgissent à travers la rencontre de personnages divers.

Après plus de 40 ans de travail cinématographique, l’auteur du film manifeste sa maturité artistique à travers un scénario à la trame bien tissée. Les tournures de l’histoire racontée par «Les Palmiers Blessés» nous glissent, avec Chama (interprétée par Leila Waz), dans sa quête de la vérité. La pertinence du casting trouve sa juste valeur dans l’aisance avec laquelle nous nous connectons avec les personnages du film. La qualité des images facilite le voyage. Les lieux hôtes des scènes du film ont beaucoup servi son scénario. Leur esthétique meublée par la justesse du jeu d’acteur nous berce tout au long de ce rêve cinématographique.

Mais Abdellatif Ben Ammar a pris tellement de temps pour tracer les traits de caractère des protagonistes qu’on finit par décrocher. Le découpage technique semble avoir trahi le réalisateur. Entre les différentes étapes du scénario, le rythme des événements est adouci. Chama, protagoniste du film, souffre au long de sa quête. On vit avec elle sa souffrance. Mais on souffre aussi… du rythme lancinant du film. La quasi-absence de raccords crée de la distance entre les séquences.

Le scénario débordant d’imagination est tout bonnement bluffant. Ses tournures nous surprennent parfois (intelligence de l’usage de l’implant, par exemple). Le bémol? Certaines incohérences nous donnent un sentiment de malaise nous empêchant de nous immiscer dans l’univers du film. Par exemple, cette jeune maitrisard accepte de dactylographier le texte et de se déplacer fréquemment à Bizerte pour rencontrer son employeur. Et ce, pour une rémunération de 1D500 la page, transcrite et corrigée.

Autre exemple, Chama squatte les cafés pour hommes de la ville de Bizerte sans aucune gêne. Et ce n’est pas tout. Elle n’hésite pas à se jeter dans les bras de parfaits inconnus pour la seule et unique raison qu’ils ont connu son défunt père. Issue d’une famille infortunée, elle boit le vin rouge avec l’aisance d’une habituée des tables huppées.

Il est à relever aussi que la sauce du film devient parfois indigeste. Quelques anachronismes froissent la crédibilité de l’ensemble. Ainsi, les vêtements des personnages et leurs coiffures ne sont pas fidèles à ce qui était courant dans les années 90. Mais, bref, au final, le réalisateur n’a pas raté sa cible puisqu’il a mis à nu les falsificateurs de l’histoire.

Tout commence sur les rails d’un train qui s’incline pour s’engloutir dans un tunnel. La quête commence par être linéaire avant que les mémoires refoulées ne la détournent.

Thameur Mekki

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