Tunisie : Emel Mathlouthi ou Tounes ya mesikna

«Tounes ya mesikna» a été fortement applaudi par le public. Emel Mathlouthi semble l’avoir enivré, mardi 20 juillet, au Festival International de Hammamet. Même si la jeune artiste opte pour la facilité, l’audience la réconforte dans son choix. Entre le marteau et l’enclume, pauvre Tunisie !

Il est 22h. Quatre musiciens montent sur scène. Emel Mathlouthi les rejoint peu après. Le batteur, Lewis René, a gardé ses baguettes loin des tambours. Le bendir du percussionniste Imed Alibi a aussi gardé le silence. Idem pour le violon de Ziad Zouari et la guitare basse de Nicolas Bauer. C’est à la signature vocale d’Emel Mathlouthi d’ouvrir le bal pop rock. Aussitôt, la voix de la jeune chanteuse envahit l’amphithéâtre de Hammamet devant un public conquis d’avance.

Après presque trois ans de résidence en France, ses prestations en Tunisie sont devenues rarissimes. Auparavant, Emel a sillonné les scènes underground tunisiennes. Mais sa notoriété ne dépassait pas, à l’époque, le cercle d’une petite communauté estudiantine et les habitués des concerts de musique alternative.

En effet, la jeune chanteuse a gagné en popularité grâce au web, notamment le réseau social Facebook.

Environ 800 personnes sont prêtes à l’évasion sonore. Après presque une minute de performance a capella, la section rythmique vient soutenir le chant d’Emel. Les rythmes de la batterie amènent le groove. La touche arabesque est assurée par le bendir. Mais on ne comprend rien aux paroles. Après avoir interprété ce morceau, Emel Mathlouthi explique au public: «C’est une chanson kurde»!

La facilité applaudie par le public

Guitare en mains, Emel alterne avec «Ma Lkitt», «Tounes ya Meskina», «Kelmti Horra» sous les ovations du public. Et même si ces morceaux sont en arabe dialectal, les paroles demeurent incompréhensibles. C’est ainsi que le problème ne s’avère pas propre à la chanson kurde. En effet, Emel Mathlouthi mise sur la performance vocale, souvent au détriment de l’articulation. Cette lacune se manifeste davantage lors de l’interprétation de morceaux autres que les siens. C’est le cas de la ballade algérienne «Djbel ma bin Ledjbel» par exemple.

Les paroles d’Emel Mathlouthi dénoncent l’injustice et prônent la liberté. Ils extériorisent les maux générés par l’individualisme et appellent à l’unité. Le bémol? Les lyrics de ses morceaux voulus et considérés comme «engagés» tombent souvent dans la facilité. Les textes d’Emel sonnent comme des slogans… creux. La musique alternative tire sa pertinence voire sa légitimité de son originalité. Et donc, un produit de contre-culture ne saurait s’imposer et élargir le champ de son possible qu’en bouleversant les codes… y compris les codes verbaux.

Tout au long de son parcours, Emel Mathlouthi n’a pas choisi les sentiers battus pour la production et la diffusion de sa musique. Comparé à la musique tunisienne mainstream (courant dominant), le répertoire de la jeune Emel est assez exceptionnel. Le hic est que sa musique baigne dans un registre simpliste voire banal. Du déjà entendu.

Cahier de charge musical rempli !

Par ailleurs, la musique proposée jusque là par Emel Mathlouthi ne fait que répondre aux besoins basiques d’un public assoiffé de différence. Etre différent ne

suffit pas pour autant à faire d’un artiste, un créateur confirmé. Et ce, même si le public adore. Pour l’instant, Emel Mathlouthi ne fait que remplir le cahier de charge du succès populaire. Ce contrat de confiance conclu avec le public est constitué de trois clauses caractérisant sa musique : «engagée», «exceptionnelle», «porteuse d’identité tunisienne».

Pour «engagée», il suffit d’insérer dans les lyrics quelques termes du genre «horreya» (liberté), «kife7» (lutte), «madhloumin» (opprimés). Et le tour est joué. Pour «exceptionnelle», il suffit de ne pas jouer de la musique arabe commerciale, et de ne pas parler d’amour au sens superficiel du terme. Et le tour est joué. Pour «porteuse d’identité tunisienne», il suffit de chanter en dialecte tunisien. Intégrer un instrument comme le bendir par exemple, serait un plus. Le sommet est atteint quand Emel reprend des morceaux tels que «Ma Bin El Wedien» du défunt Ismail El Hattab. Quitte à ce que la ballade bédouine s’accouple à la musique celtique… pour finir par être une création bâtarde.

Les trois clauses sont respectées. Le contrat est conclu. Et le public est content. L’artiste tombe dans la facilité et l’audience le réconforte dans son choix. Dans la quasi-absence d’une alternative de qualité, les compliments trompent l’artiste sur la qualité de sa musique. Faut-il tirer la sonnette d’alarme et investir pour rééduquer l’oreille musicale du public ?

Thameur Mekki

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