Tunisie: L’Ecran… domine, frustre et clash !

Les arts scéniques ne se contentent plus de leur bonne vieille arène. Leurs adeptes créent plus d’espace avec la vidéo. Et ils s’en servent même pour amplifier la taille des personnages. C’était le cas de l’opéra Zajal présenté, mercredi 21 juillet, au Festival International de Hammamet.

Flash Back! Bien avant que le slam et le spoken word soient nés, bien avant que les clashs entre rappeurs soient retransmis sur les ondes des radios fm et bien avant que les battles entre poètes urbains réchauffent les coins des rues, le zajal a existé. Il y a dix siècles, cette forme de joute oratoire poétique et musicale a émergé chez les Arabes et les Andalous. Et elle a survécu jusqu’aux dernières décennies du 20ème siècle.

Le zajal agonise actuellement. Zad Moultaka, compositeur libanais, a tenu à raviver la flamme de cet art. Baptisé tout simplement «Zajal», son dernier opéra a été présenté, durant la soirée du mercredi 21 juillet, à l’amphithéâtre de Hammamet dans le cadre du festival international de la place. Pour broder la texture musicale et scénique de son opéra de chambre, Zad Moultaka a fait appel aux instruments occidentaux ainsi qu’à la vidéo-projection.

Le géant à l’écran !

Les événements du spectacle se déroulent au début du 20ème siècle. Il s’agit de la reconstitution d’une soirée de zajal tenue au village libanais de Wadi Chahrour en 1909. Cet opéra raconte l’histoire de la confrontation un jeune zajaliste et Louis El Feghali, grand adepte du même art. Masqué, le jeune villageois part défier son aîné. Et le vieil homme accepte le challenge.

Dominant, frustrant et d’une grandeur inouïe, le vieux Louis, interprété par le comédien libanais Gabriel Yammine, se dresse dans la vidéo projetée sur le grand écran. Il lance ses vers initiateurs. Sa profonde maîtrise de l’art du zajal est décelée par l’auditeur dès ses premières rimes. Et l’écran géant amplifie la grandeur du personnage.

Pourquoi le choix de la vidéo au lieu de la présence scénique effective? Le créateur de cet opéra, Zad Moultaka, explique: «Il y avait l’idée de comment faire pour montrer cette présence pesante et frustrante». Et il poursuit: «Chaque fois qu’il termine de parler, il se penche sur le jeune homme et sur les musiciens. Et il leur parle avec trop de pesant (air supérieur). C’est avec la vidéo que j’ai pu faire ça».

La vidéo comme masque

Interprété par la vocaliste libanaise, Fadia Tomb El Hage, le personnage du jeune zajaliste se place dans une mise en scène minimaliste. La chanteuse déclame ses textes au bon milieu d’une pléiade des musiciens de l’Ars Nova ensemble instrumental. Avec deux saxophones, un tuba, une trompette, un trombone, les instruments à vents sont très dominants dans ce spectacle. A leur côté, on trouve un percussionniste qui donne le tempo au chant des jouteurs.

Le choix d’une chanteuse au lieu d’un chanteur et à visage couvert plutôt que masqué est non conforme à l’histoire originale. Mais, le concepteur de cet opéra a ses raisons: «Faire monter sur scène un chanteur ou une chanteuse avec le visage caché m’a semblé facile. J’avais envie de trouver quelque chose de plus symbolique» explique-t-il. Et c’est également sur ce point que la vidéo projection joue une autre fonction clé dans la conception de l’opéra «Zajal».

Zad Moultaka nous en parle: «Le fait d’avoir le personnage du vieux Louis sur la vidéo, et derrière eux en plus, évoque le fait qu’il est absent tout en étant présent». Et il développe son idée: «C’est-à-dire qu’il y a une présence et une lourdeur. Mais en même temps, on ne sait pas s’il est vraiment là. Il répond au taco-tac. Mais, finalement, où est ce qu’il est? Est-il vraiment là avec eux ou caché quelque part?»

Tradition et modernité, la rupture?

Après un premier acte où le vieux zajaliste exerce son pouvoir sur le jeune homme, on le perd de vue dans le deuxième ainsi qu’au troisième acte de ce spectacle. Mais sa voix continue son passe-passe avec son jeune concurrent. Durant le deuxième acte, la vidéo projection étale des images d’archives affichant des confrontations entre adeptes libanais du zajal durant les années 80.

Au long du troisième acte, l’écran est noir. Le jouteur chevronné, Louis, n’est plus visible. Il n’y a que sa voix qui envahit l’espace scénique. Et il commence à avoir du mal à garder son air supérieur face à son prodigieux jeune rival. «C’est la modernité qui veut prendre la place de la tradition. Donc, tout l’opéra va vers la disparition du vieux. Au début, cet homme est sur l’écran. Il a un côté un peu pesant voire même lourd. Petit à petit, l’espace scénique s’allège et va vers la disparition de ce poids, en l’occurrence, le poids de la tradition» dixit Zad Moultaka.

Est-ce la fin de la tradition et le règne de la modernité? «Pas vraiment!» lance Zad Moulataka. La surprenante tournure arrivée à la fin du spectacle atteste que «Zajal» est, selon les termes du réalisateur, «un hommage à la tradition».

Thameur Mekki

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