Tunisie : Jawhar, un cowboy en dengri !

Guitare en main, Jawhar chante ses lyrics en dialecte tunisien sur du folk. Mais la musique des Yankees n’est pas assortie au dengri surtout quand le vent y va aussi de sa chanson. Privées du swing du jazz, de son groove et du côté roots du reggae, la fusion perd son sens. L’identité est wanted.

«Son langage, trait d’union rêvé entre volutes folk-jazz et mélopées arabes, échappe quant à lui à toute tentative de classification». C’est ainsi que le magazine français «Les Inrockuptibles» a commenté la musique de Jawhar. Le jeune musicien tunisien était en concert, mercredi 04 août, dans le cadre du Festival International de Hammamet.

Mais si l’exotisme des «mélopées arabes» émerveille les oreilles européennes, il faut beaucoup plus que ça pour que Jawhar puisse retenir le public tunisien au long d’un set d’environ 60 minutes. Les spectateurs ont d’entrée manifesté leur désaccord avec leurs pieds : au bout de quelques chansonnettes, ils ont choisi de prendre la poudre d’escampette. La fusion musicale non aboutie, les textes (trop ?) décalés, et la voix essoufflée de Jawhar ont apparemment encouragé les désertions.

Guitare en main, Jawhar monte sur scène à 23h. Il est accompagné par quelques musiciens prodiges de l’émergente scène tunisienne. Mohammed Ali Kammoun est au piano, Nefaa Allem à la batterie et Hamza Zeramdini à la basse et à la guitare. On trouve aussi le musicien français adepte des instruments indiens Fabian Bégin au bansouri, à l’harmonium indien et à l’accordéon. Et son compatriote résident en Tunisie, Arnaud Meunier à la trompette. Ils étaient tous habillés en «dengri», bleu de chauffe d’inspiration chinoise, synonyme d’appartenance à la classe ouvrière.

Reste que l’auteur, compositeur, chanteur et ses compagnons ne sont pas très crédibles en dengris. Et ce, même si le répertoire de Jawhar fait appel dans sa majeur partie au dialecte tunisien. Sa musique dont les compos puisent dans le folk comme matière première contribue à le décrédibiliser. Le paradoxe est manifeste puisqu’il s’agit de la musique traditionnelle américaine. Difficile en effet d’assortir la musique Yankee au dengri. Même si les ballades de Jawhar se veulent contestataires, en puisant dans le registre du «folk revival» des années 60. Un Bob Dylan ou un Joan Baez tunisien ne saurait séduire avec des textes tellement décalés qu’ils sortent du cadre de l’auditeur.

«El 3icha Chkayer», «Wena Wena mechi», «Khalli yben» ou encore «Ech Bia» en duo avec Anissa Daoud et autres morceaux se basent sur des lyrics romantiques, métissés, et poétiquement ironiques. Le bémol ? Le folk teinté de «twisted jokes» à l’anglaise est très tordu comme humour pour être aussi allégrement «tunisifié». L’envelopper dans un dengri de chez-nous revêt du romantisme mal placé.

Et il n’y a pas que ça. La malchance a ainsi accompagné Jawhar sur la scène hammametoise. Son spectacle donné à l’amphithéâtre de plein air de Hammamet a été un véritable calvaire pour le chanteur. Très difficile, en effet, de chanter avec justesse quand le souffle du vent est tellement fort qu’il ne cesse d’emporter les partitions posées sur les pupitres des musiciens.

Revenons à la fusion. La musique de Jawhar est concoctée à base de folk tantôt teintée de riffs de reggae tantôt de jazz et parfois même pimentée par des sonorités d’instruments indiens. Or notre artiste puise dans toutes ces tendances sans en retenir ses plus riches aspects. Ainsi, on ne trouve pas le swing du jazz, ni le groove et le côté roots du reggae. Quant aux instruments indiens, ils perdent de leur pureté et de leur spécificité sonore dans cette fusion iconoclaste des genres. Au final, la sauce ne prend pas. N’est pas Cheikh Sidi Bémol, et encore moins Amazigh Kateb qui veut !

Evoluant entre la Belgique et la Tunisie, Jawhar a déjà sorti, en Europe, un premier disque intitulé «When rainbows call, my rainbows fly». Il a multiplié les expériences scéniques entre théâtre et musique. Le jeune tunisien, également acteur (Hobb Story et Les Palmiers Blessés), a déjà fait la première partie d’artistes de renom de la scène internationale à l’instar de Keziah Jones, Susheela Raman et Gary Lucas. Mais, visiblement, il est encore à la recherche de son identité musicale.

Thameur Mekki

Print Friendly, PDF & Email

Plus :  Actu



  • Envoyer