Le cinéma de Tunisie du nombril au bas-ventre

Les Tunisiens préfèrent fourguer leur khochkhach, leurs délires féministes (un comble dans le pays arabe où la femme bénéficie du statut le plus avancé), et notre exotisme kitsch de mauvaise carte-postale. Les JCC nous rappellent que le cinéma tunisien existe. Même si on ne l’a pas rencontré.

Les Journées Cinématographiques de Carthage ont enfin démarré. Dans un contexte très particulier. L’année 2010 a été en effet officiellement désignée comme étant celle du cinéma. Alors même que jamais notre 7ème art n’a paru aussi fragilisé, aussi controversé. Des stars (égyptiennes) ont été rameutées. Tapis rouge, et bousculades saisonnières devant des salles où d’habitude, on entendrait les mouches voler (normal, c’est l’automne). Alors que les salles se reconvertissent dans la friperie ou ferment leurs portes, jamais nos jeunes n’ont paru aussi intéressés par cet art. Les écoles privées ou étatiques recrutent des étudiants en masse. Avec en perspective le rêve de devenir à la sortie réalisateur. Alors que la crème de la crème fera au mieux des spots de pub pour yaourts.

Subventions et moyens

Les polémiques éclatent ici et là, remettant en cause le monopole supposé que les vieux de la vieille domineraient. Sauf que la (maigre) production tunisienne, avec tout juste 3 films pour toute l’année 2009 (Cinecittà d’Ibrahim Letaïef, Eddawaha de Raja Amari et «Vivre ici» de Mohamed Zran) ), ne justifient pas nécessairement cette course échevelées aux subventions. A titre de comparaison, des pays aux moyens (quasi) similaires comme le Maroc en produisent une bonne vingtaine. Certes les courts-métrages tunisiens commencent une (timide) percée.

Les moyens ? Le cinéma alternatif américain a prouvé que l’on pouvait monter des bombes commerciales avec des moyens très limitées. «Blair Witch Project» a depuis fait de nombreux petits, y compris dans la triomphante Asie. Plus près de nous, nos frères marocains décoiffent avec leur créativité et l’audace de productions comme «Marock», «Casa Negra», «Ali Zaoua prince de la rue». On ne compte plus les diamants chérifiens sur le grand écran.

Fourguer du khochkhach

Mais les Tunisiens préfèrent fourguer leur khochkhach, peut-être pour endormir les cinéphiles. Ils préfèrent vendre leurs délires féministes (un comble dans le pays arabe où la femme bénéficie du statut le plus avancé), notre exotisme kitsch de mauvaise carte-postale… Comme si les interrogations identitaires et les questions «métaphysiques» pouvaient tenir lieu de scénario. A défaut d’histoire, (si si, c’est généralement le premier motif pour lequel on va au cinéma), certains tentent même la provoc, avec plus ou moins de réussite. Au final, pas de quoi faire tout un plat (même épicé) avec des dialogues aux ras des coquelicots. Mais voilà. Quelques producteurs, certains réalisateurs sont invités pour en déblatérer sur les chaînes de télé tunisiennes. Parce que c’est l’automne. Les arbres perdent leurs feuilles et il y a les JCC. Ils en parlent à titre d’experts, à titre « d’auteurs». La pauvreté de notre cinéma serait presque revendiquée, tant qu’elle reste une «misère d’auteur».

Misère du cinéma d’auteur

Au niveau international, à l’ère du hamburger américain et du mlawi, le cinéma d’auteur est en perte de vitesse. Adios Costa Gavras, et Godard, l’époque des Cahiers du Cinéma est bien révolue. A l’ère du DVD, plus personne ne regarde «Dersou Ouzala» de Kurosawa. Même en France, depuis une dizaine d’années, ce sont des blockbusters du genre des «Visiteurs» qui attirent les foules. De la comédie bien grasse, ou de l’action bien ficelée. Les Egyptiens l’ont compris, avec une nouvelle génération de réalisateurs qui sortent des thrillers à la chaîne avec des images léchées (parfois jusqu’à trop maquiller la réalité), et des stars du style Ahmed Saqqa, . Et dans le lot, ils arrivent même à sortir des pépites comme «1-0», et «hina mayssara». Comme quoi le Pharaon, même malmené sur sa gauche par les productions TV syriennes, continue de marquer des points. Côté tunisien, on se contente de se regarder le nombril et de s’interroger sur le gargouillis du bas-ventre. Résultat : des fictions brinquebalantes sous un objectif fortement occidentalisé.

On continue pourtant d’aller voir les derniers films tunisiens. Ils sont si rares. En somme, c’est un peu comme le Ramadan sur Tunisie 7 : on se rappelle qu’on a une chaîne télé après avoir jeûné. Les JCC ont ainsi au moins le mérite de nous rappeler que le cinéma tunisien existe. Même si on ne l’a pas vraiment rencontré.

Lotfi Ben Cheikh

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