Tunisie : Qui doit (vraiment) payer pour Canal+ ?

Les Tunisiens n’ont pas attendu la coupure du TPS des paraboles pour se ruer vers les chaînes arabes. Et voici qu’on prétend les faire payer pour regarder des productions Made in France. Voudrait-on faire payer aux Tunisiens le prix du rayonnement culturel français ?

La francophonie est pour le moins malmenée. Les chaînes télé françaises ne sont pas, et de loin, les préférées des Tunisiens. Mieux : généralement, les amateurs de DVD gravés évitent les films français, considérés comme ennuyeux, pas vraiment au goût du jour. Le cinéma français est délaissé au profit des blockbusters américains, et des films égyptiens, plus proche de leur réalité quotidienne. Les Tunisiens n’ont pas attendu la coupure du TPS des paraboles pour se ruer vers les chaînes arabes.

Zappant toutes ces vérités statistiquement prouvés, voici que des responsables français du plus haut niveau ainsi que des représentants de Canal Overseas émettent certaines réserves préalables à la diffusion de leur bouquet en Tunisie. M. Bruno Thibaudeau, Directeur général de Canal+ Maghreb déclare ainsi : «Il faut que l’on soit rassuré. Il faut respecter les droits d’auteurs. Et ceci ne peut se faire que grâce aux efforts de tous les ministères».

Le DG de Canal+ Maghreb a aussi fait miroiter la possibilité du financement de «production de films ou l’achat d’œuvres audiovisuelles tunisiennes. Mais ceci ne pourrait être accompli que grâce au succès commercial du bouquet» (voir Tunisie : Canal+ Maghreb en croisade contre la Dreambox ?).

En somme, si le bouquet de Canal+ ne rencontre pas le succès, l’audiovisuel tunisien ne recevra même pas le soutien escompté. Sans plus de précisions sur les investissements éventuels en cas de réussite. Pour couronner le tout, Canal+ demande quand même des garanties. Certes, il s’agit d’une station privée, et qui ne reflète pas nécessairement les positions française officielles. Mais un petit rappel historique s’impose.

Le prix de la diffusion de France 2

Jusqu’ici, ce sont les Français qui ont payé les Tunisiens (et pas uniquement de mots) pour qu’ils puissent diffuser leurs émissions sur le territoire tunisien. En espérant que nos concitoyens regardent leurs chaînes et y accordent plus que de la simple curiosité. L’arrivée d’Antenne 2 en 1989 (l’ancienne dénomination de France 2) sur les ondes tunisiennes a ainsi été précédée de longues négociations. Et les discussions en question ont duré plus de trente ans, puisque les Français ont fait part de leur souhait de disposer d’un relais pour leur chaîne dès 1966.

Pour que la voix (et l’image) de la France soit diffusée sur le réseau hertzien tunisien, le gouvernement français a dû s’engager, en échange, à financer la modernisation des infrastructures de notre radio et télévision nationale. Dans un document mis en ligne par l’université de Grenoble, l’universitaire tunisien Riadh Ferjani rappelle qu’en «1987, le député RPR Michel Péricard dans son rapport au Premier ministre sur la politique audiovisuelle de la France, constatait le succès croissant de Rai Uno et estimait qu’une défense adéquate des positions culturelles françaises en Tunisie passe par la diffusion directe en Tunisie d’une chaîne de télévision française». Mieux : M. Ferjani précise : «qu’ils soient de gauche ou de droite, les responsables politiques français insistaient tous sur la nécessité de limiter l’influence de Rai Uno en Tunisie».

La diffusion des chaînes françaises en Tunisie a donc clairement toujours été une question d’intérêt national hexagonal. Qu’en est-il alors aujourd’hui, dans un contexte tunisien marqué par le trust des chaînes arabes sur l’audimat, et par la relégation progressive des attributs de la culture française au deuxième plan ?

Le cas de Canal Horizon

Certes l’historique de Canal+ en Tunisie est légèrement différent. La première chaîne privée cryptée à être diffuser en Tunisie (dès le 7 novembre 1992), Canal Horizons, fait en effet partie, comme son nom l’indique du groupe français de télévision privée. Et la chaîne en question a produit quelques émissions qui ont fait date. Mais même dans ce cas, l’Etat tunisien a imposé ses conditions. Le capital de Canal Horizons Tunisie était détenu à 60% par des institutions financières et bancaires tunisiennes. La chercheuse Nozha Smati précise même dans un texte publié par le Centre de Recherche Audiovisuel de l’Université de Toulouse (France) que «les autorités tunisiennes ont imposé, entre autres contraintes, la diffusion de programmes en langue arabe ou le cas échéant sous-titrés en arabe dans la tranche de diffusion en clai.

On notera donc que dans les deux cas de France 2 et de Canal Horizon, ce sont les Français qui ont dû se plier aux conditions tunisiennes pour pouvoir diffuser leurs images sur le territoire national. Et pour cause : le rayonnement de la France, de sa langue, de sa culture, est à ce prix. Et voici que Canal+ prétend vouloir le faire payer par les Tunisiens.

Oualid Chine

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