Tunisie : Tanit pour dorer la pilule ?

«Microphone» sert-il réellement la cause de la jeunesse ou gomme-t-il les aspérités de la réalité pour la rendre plus acceptable ? Les trois films lauréats (courts et longs) de cette édition des JCC paraissent sympathiques, techniquement assez réussis. Mais rien de bien décapant, si ronronnant…

Le Tanit d’or des longs-métrages a été attribué à «Microphone» du jeune réalisateur égyptien Ahmed Abdallah. Un film qui a brillé par sa bande-son, et «la richesse de ses personnages dans une société qui refuse d’octroyer à des jeunes musiciens la place qu’ils revendiquent» dixit le président du jury, le réalisateur haïtien Raoul Peck.

Un film qui prétend donner le mic et la parole à une jeunesse agissante, mais jusqu’ici privée de porte-voix. Pour des JCC marquées par la présence massive des jeunes, qui s’immiscent dans le cercle trop longtemps resté fermé du cinéma. La jeunesse a ainsi profité de l’ouverture qu’offre le court-métrage, pour venir en force dans cette 23ème édition des JCC.

Ainsi, a-t-on octroyé à «Vivre», de Walid Tayaa, le premier Prix de la compétition nationale courts-métrages. Une deuxième récompense pour ce même film, déjà couronné par le Grand Prix du Festival International du Cinéma Méditerranéen de Tétouan. Et, là aussi, il est question de micros, et de voix, que le contremaitre français veut de préférence sirupeuse, puisque c’est celle d’une téléconseillère, dans un centre d’appels. Le Tanit d’or des courts-métrages sera attribué à «Linge sale, de Malik Amara. Un film tunisien «frais, désengagé mais conscient, burlesque mais pittoresque» a relevé un article de Tekiano.

Le point commun de ces trois œuvres ? Elles sont techniquement abouties. On relèvera même l’usage de la caméra à l’épaule pour «Microphone», une pratique préconisée par le très moderne «Dogma», un mouvement lancé dans les années 90 du siècle dernier par le Danois Lars von Trier. Le «Dogme» et ses principes ne sont certes pas toujours suivis à la lettre. Il n’empêche. La tendance semble avoir nettement inspirée Ahmed Abdallah. Au final, les trois œuvres sortent du lot par leur fraîcheur, par leur côté «enlevé». Et si elles ne caressent pas systématiquement dans le sens du poil, elles ne remettent en tout cas pas grand-chose en cause. Mais après tout, le cinéma n’est pas obligatoirement engagé, pas nécessairement le plus désigné pour prendre la défense de la veuve et de l’orphelin, (fût-il jeune).

A cet égard, Khaled Abou Najja ne s’y trompe pas, quand il déclare, lors d’une émission diffusée par Tunis 7: «des jeunes du Canada se sont reconnus dans les personnages du film. Cette problématique de la prise de parole par les jeunes est partout la même. Le monde est désormais un village aujourd’hui». Vraiment ? Peut-on réellement croire que les problèmes des jeunes Egyptiens sont identiques à ceux des Canadiens, fussent-ils «underground»? Certes les douceurs alexandrines, peuvent permettre de zapper les pharaoniques rigueurs et difficultés Cairotes. Mais tout de même.

Si ce film a fait passer une telle image de la jeunesse arabe en général et égyptienne en particulier, sert-il réellement la cause qu’il est censé servir ou gomme-t-il les aspérités de la réalité pour la rendre plus acceptable ? En clair, cette production ne contribue-t-elle pas à dorer une pilule qui a bien du mal à passer ? C’est peut-être ce que l’on reprochera un tantinet aux trois films lauréats (courts et longs) de cette édition des JCC. Sympathiques, techniquement assez réussis, mais rien de bien décapant, si ronronnant…

Toujours est-il que l’on ne peut refaire le coup de «Making off» made by Nouri Bouzid à toutes les éditions. Reste à espérer que les prix octroyés à ce pimpant cinéma , contribueront à donner un coup de projecteur à tous ces jeunes qui se démènent hors champ, loin des caméras de la télé, et bien loin des micros de nos radios. Tous ces jeunes qui n’ont pas vraiment les moyens de faire leur cinéma.

Lotfi Ben Cheikh

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