Machos de Tunisie sous les projos en France

Il est 12h30. C’est le Salon du Livre de Paris. La sociologue Dorra Mahfoudh, la blogueuse Lina Ben Mhenni, la chanteuse Emel Mathlouthi et Noura Goulli, chargée du programme femmes au Parti Républicain tunisien s’installent. Mais les quatre femmes ne sont pas là en ce vendredi 18 mars pour parler de littérature. Par notre envoyé spécial à Paris, Thameur Mekki.

salon-du-livre-paris-tunisieOrganisé par l’Institut Français de Coopération à Tunis, le débat lancé en présence d’environ une cinquantaine de personnes porte sur «La place politique de la femme en Tunisie d’aujourd’hui». Et le sujet a valu le détour de certains visiteurs squattant les allées du parc d’exposition situé à La Porte de Versailles. Pour commencer le débat, Dorra Mahfoudh met l’auditoire dans le bain. La sociologue décline les femmes tunisiennes en quatre catégories.
«La première rassemble 70% des Tunisiennes. Elles ne sont pas dans la politique mais elles ont contribué à la Révolution. Elles ont préparé les banderoles et ont offert leur soutien aux jeunes révolutionnaires des quartiers» dixit Mme Mahfoudh. Et elle poursuit : «La deuxième catégorie est faite des femmes du RCD (UNFT, AMT). Mais il y une autre petite catégorie. Celle des syndicalistes, des militantes de partis non autorisés et autres opposantes au régime déchu, à l’instar de Radhia Nasraoui et de Sihem Ben Sedrine». Mais elles ne sont pas les seules à faire la Tunisie d’aujourd’hui. La sociologue précise : «Il y a une nouvelle catégorie très importante à savoir les cyber-résistantes. Toutes ces bloggeuses et autres femmes tunisiennes très actives sur le Net et les réseaux sociaux».

Le machisme, premier accusé
«Il y a eu récemment un sondage dont les chiffres sont surprenants. Il atteste que 60% des personnes sondées sont contre l’égalité entre les deux sexes» dixit Noura Goulli du Parti Républicain. Et voilà que les quatre intervenantes mettent en exergue leur pire ennemi : le machisme. L’autopsie de la bête commence : «La présence des femmes est très faible dans les partis et les syndicats» déclare Dorra Mahfoudh. Pour la sociologue, l’attitude des médias est un indicateur révélateur «Sur les plateaux télés, les femmes sont rarement représentées. Et les médias manquent d’initiative dans ce sens. Et quand il y en a, c’est un peu à côté de la plaque. Par exemple, sur Nessma, il y a une émission intitulée «Interdit aux hommes». Nous ne sommes pas pour l’exclusion. Nous sommes plutôt pour une Tunisie mixte tout simplement». De son côté, Emel Table-ronde-femmes-ParisMathlouthi a témoigné de son expérience personnelle en tant qu’artiste: «Il y a toujours de la susceptibilité quant aux choix artistiques. Et ils interprètent mal le fait que c’est à elle de gérer l’équipe même s’il s’agit de son propre projet». Pour l’une des femmes françaises assistant au débat, l’expérience occidentale n’est pas du tout un modèle à suivre. «Nous avons milité et obtenu cette égalité durant les années 70. Mais voilà que nous perdons nos acquis quotidiennement. Qu’est ce qu’on a comme députées femmes aujourd’hui? On est de la merde. Détrompez-vous» clame cette enseignante à la retraite. «Le machisme est international. Votre combat est juste. Je vous en félicite. Je vous dis ça parce que je crois en vous. Aujourd’hui, je crois de nouveau à l’humanité grâce à la Tunisie et à sa Révolution» alterne-t-elle avec fougue.

Attention… Danger conservateur !
«Aujourd’hui, les bloggeuses et autres femmes actives sur Facebook et sur le web reçoivent incessamment des insultes et des menaces» relève Lina Ben Mhenni. Et la bloggeuse martèle en tirant certains constats de son propre vécu. «Pendant la Révolution, je mes suis déplacée dans diverses régions en Tunisie, pris des photos et discuté avec les gens facilement. Maintenant, les choses ont changé. Il est plus difficile de prendre des photos. Avant, on avait peur des flics. Désormais, il y a des individus qui nous font subir une certaine répression avec leur attitude machiste». La sociologue a également évoqué le retour de certaines formes de conservatisme  qui risquent de toucher au statut de la femme en Tunisie. Pour les intervenantes, ce conservatisme est surtout porté par les adeptes de l’islamisme. «Les femmes tunisiennes sont présentes à 37% dans la commission de la réalisation des objectifs de la Révolution. Il y a des acquis. Mais «ça reste fragile» insiste Dorra Mahfoudh avant de mettre l’accent sur certaines revendications féministes à l’instar du droit à la transmission de la nationalité, à l’égalité dans l’héritage et autres questions si sensibles au regard de la rue tunisienne.
«Associations, partis politiques et autres composantes de la société civile élaborent un manifeste revendiquant la laïcité, la parité et l’égalité entre hommes et femmes». C’est ce qu’a affirmé la sociologue avant de valoriser et appeler à plus de dialogues. «Il y a une grande absence de débat. Il faut les multiplier. Et surtout dans les régions» dixit Mme Mahfoudh. En attendant, le débat a été clos sur les airs de «Kelmti Horra», la ballade d’Emel Mathlouthi. De quoi détourner l’attention de certains visiteurs du Salon du Livre de Paris. De quoi leur faire découvrir une facette de la Tunisie différente de celle qu’ils voient dans les cartes postales ou dans les journaux télévisés.

Thameur Mekki

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