Tunisie Telecom et le salaire de Zouheir Dhaouadi

 

Les mêmes personnes qui applaudissent aux «exploits» des footballeurs millionnaires, les starlettes de pacotilles qui roulent en limousines, refusent de concevoir qu’ un ingénieur soit une sommité et bénéficier du salaire qui va avec. L’intelligence et la matière grise seraient-elles moins précieuses que les pieds ?

On n’a pas fini de gloser sur les salaires mirobolants de quelques hauts cadres de Tunisie Telecom. Des revenus mensuels de plus de 30 000 dinars, vous pensez bien que ça fait tâche, à l’ère post-trabelsi. Voici donc que la polémique n’en finit pas d’enfler. Et les chaînes de télévision jettent de l’huile sur le feu en se mettant à diffuser des micro-trottoirs, prenant à témoin les passants. Le fric comme le cul, ça fait grimper l’audimat, c’est bien connu.

Ce qui est pour le moins curieux, c’est que les mêmes personnes qui applaudissent aux «exploits» des footballeurs millionnaires, les starlettes de pacotilles qui roulent en limousines, y compris dans la Tunisie Révolutionnaire, refusent de concevoir que l’on puisse aussi, en tant qu’ingénieur, être une sommité dans sa partie, et bénéficier du salaire qui va avec.

L’un des quidams a ainsi interpelé la reporter de la télé qui l’interrogeait : nous sommes tous des enfants de 9 mois. Un dicton bien Tunisien, qui souligne l’égalité de tous les enfants du Bon Dieu. Sauf qu’il ne faudrait tout de même pas qu’on nous prenne pour des canards sauvages. Le bonhomme a poussé son «analyse» jusqu’à déclarer : «la boîte pourrait engager des centaines de personnes à 300 dinars par mois, pour la même somme dépensée». Si d’un point de vue strictement arithmétique ce raisonnement parait sans faille, il n’en est pas de même quand on se place au niveau du gestionnaire, ou du chef de projet. Le bon sens «populaire» dont font preuve les détracteurs de nos salariés millionnaires, reviendrait à préférer engager 100 maçons pour un chantier à la place d’un architecte, 10 bacheliers à la place d’un prof de math en classe terminale, un photographe de quartier à la place d’un réalisateur (quoi que dans ce cas, vu la production cacochyme de notre 7ème art…), ou encore 11 boiteux à la place de Zouheir Dhaouadi (20 000 dinars par mois) ou de Youssef Msakni. Sans parler du milliard qu’a coûté Dramane Traoré à l’Espérance Sportive de Tunis. A quoi donc est due cette différence de traitement et de considération ?

C’est que les Tunisiens se sont habitués à ce que les starlettes qui remuent du popotin soient immensément riches. Que nos demi-sels du ballon rond roulent en X5 ne choquent personne. Mieux : leurs signes extérieurs de richesse font rêver nos amateurs de foot (frustrés depuis que les matchs se jouent à huis-clos), qui, paradoxalement, s’identifient aux abrutis qui courent derrière la baballe sur le gazon. Mais nos ingénieurs de niveau mondial, nos spécialistes des réseaux, nos as des ondes radios ne savent décidément pas se déhancher comme il faudrait pour plaire à ces messieurs, encore moins pousser le ballon.

Certes, on nous rétorquera que tout ce beau monde surpayé n’est pas nécessairement logé à la même enseigne. Que parmi les cadres de nos sociétés, certains se font dorer les bourses sans bouger le petit doigt. Des accointances avec la famille élargie des Belhassen et autres Imed, justifiant sans doute les espèces sonnantes et trébuchantes. Certes, rien ne justifie qu’un cadre qui n’encadre que Zaba au dessus de son bureau sur le mur, ne mérite autant d’égards. Mais peut-on vraiment espérer engager un Maradona tunisien pour défendre les couleurs de nos sociétés nationales et le payer moins cher que Zouheir Dhaouadi ? L’intelligence et la matière grise seraient-elles moins précieuses que les pieds ?

 

Lotfi Ben Cheikh

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