Tunisie : Les médias dans le viseur de Hamadi Jebali

Dans un extrait d’une interview diffusée le 19 décembre sur la Radio Nationale, le futur premier ministre tunisien affirme que «les médias nationaux ne seront plus soumis aux ordres de qui que ce soit». Mais son discours regorge de contradictions et de propos opaques.

hamadi-jebali-gov-1Dans cet entretien téléphonique, circulant sur Facebook, la journaliste Henda Ben Alaya Ghribi lui pose une question en parlant de «médias gouvernementaux» et non pas de service public. Une qualification propre aux régimes dictatoriaux. Hamadi Jebali ne la contredit pas, ne rectifie pas et répond en fonction de la terminologie utilisée par la journaliste. N’est-il pas au courant qu’il ne s’agit pas des médias du gouvernement mais ceux du contribuable, des citoyens?

Pour le secrétaire général du Mouvement d’Ennahdha, l’indépendance des médias serait «garantie par une instance nationale élue, représentative et autonome». Jebali évoque une instance calquée sur les modèles des pays démocratique citant la France comme exemple. Sait-il que depuis la promulgation de la loi organique n°2009-257 du 5 mars 2009, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) ne nomme plus les présidents de France Télévisions et Radio France ? C’est le président français Nicolas Sarkozy qui les nomme limitant ainsi les prérogatives du CSA. Une décision ardemment critiqué par les pros du journalisme en France considérant qu’il s’agit d’une mainmise du pouvoir exécutif sur la presse.

Vers la dictature de la majorité ?

Selon M. Jebali, cette instance aura à «diriger selon les règles du métier et les normes du professionnalisme et de l’indépendance. C’est ça la liberté des médias». Drôle de définition! Décidemment, le futur premier ministre confond droits, valeurs, régulation et mode de gouvernance. «Franchement, ce ne sera pas une tutelle, comme celle de Ben Ali ni comme celle exercée actuellement dans nos médias. Je suis franc là-dessus. Ces entreprises n’expriment pas la volonté populaire représentée par le résultat des élections» déclare Hamadi Jebali. A en croire son discours, M. Jebali voudrait que les médias du service public soient plus tendre envers son parti, le mouvement Ennahdha.

Mais le leader islamiste alterne pour démentir cette déduction, se contredisant ainsi en ajoutant : «Nous ne voulons pas qu’elles soient l’instrument du gouvernant. Mais nous ne voulons pas non plus qu’elles soient entre les mains de ceux à qui le peuple n’a pas donné ses voix dans sa majorité. Donc, il ne faut pas qu’elles s’alignent avec la majorité, ni avec les minorités ou encore qu’elles soient le monopole d’un parti» explique-t-il avant de conclure sa phrase sur un ton vaguement menaçant : «Je sais bien de quoi je parle. Et ils me comprennent parfaitement».

Abus de pouvoir

M. Jebali reprend : «Nous nous orientons vers l’indépendance de la justice et celle des médias. Ils auront des comptes à rendre à l’opinion publique et aux professionnels. Nous nous orienterons vers cette institution (l’instance de régulation, NDLR) et nous la créerons selon ce qui satisfait les objectifs de la Révolution». Est-il des prérogatives du premier ministre de créer l’instance de régulation du secteur de l’information? Dans la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics adoptée par l’Assemblée Nationale Constituante, il n’y a aucun point attribuant au chef du gouvernement cette mission. On est, ainsi, pleinement dans l’abus de pouvoir.

Hamadi Jebali poursuit : «Mais c’est dommage que, pour l’instant, ces entreprises n’accomplissent pas leur mission avec professionnalisme et ne font pas leur devoir envers l’opinion public». Voilà que M. Jebali se contredit encore une fois. Après avoir considéré les pros des médias comme les seuls qualifiés pour évaluer le rendement des entreprises de presse, le leader nahdhaoui s’érige en expert donnant des leçons aux journalistes tunisiens.

 

Thameur Mekki

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