Affaire Bagdhdadi Mahmoudi : La Tunisie en mauvaise posture internationale

 

Détenu depuis septembre 2011 en Tunisie, l’ancien premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi a été extradé en Libye dimanche 24 juin  sans l’aval du président tunisien qui détient, selon la présidence de la République, la prérogative de signer le décret de cette extradition. Une avalanche de critiques s’abat sur les autorités tunisiennes.

affaire-mah-baghdadi-260612L’affaire de Baghdadi Mahmoudi a créé une «crise au sommet de l’Etat » comme l’ont titré certains journaux. Extradé par le gouvernement de Hamadi Jebali dimanche 24 juin, l’ancien premier ministre libyen se retrouve actuellement en Libye, où son sort inquiète la communauté internationale et les défenseurs des droits de l’homme. Ce n’est pas tout, le Président de la République dont la prérogative de signer l’extradition de Mahmoudi lui revient, n’était même pas informé.

Pour Sihem Ben Sedrine «La première victime de cette affaire n’est pas Baghdadi Mahmoudi, mais la Tunisie, son image et ses valeurs». Et pour cause, l’extradition du dernier Premier ministre de Khadhafi, soudaine et en catimini, a suscité les critiques de la presse étrangère et l’indignation des organisations de défense des droits de l’homme. Le célèbre patron du journal Al Qods Al Arabi, Abdel Barri Atwan demande à Marzouki de démissionner pour sauver son honneur. Amnesty international parle de violation des droits humains par les autorités tunisiennes. La Fédération Internationale des Droits de l’Homme évoque une « violation flagrante du droit national et international ». Pour cette dernière, il s’agit d’une extradition contraire à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, à laquelle la Tunisie a adhéré et ce qui contredit «la volonté de la Tunisie de se conformer à l’état de droit, la décision du gouvernement tunisien de livrer M. Baghdadi aux autorités libyennes sans l’accord du Président de la République et sans en informer ses avocats constitue une violation flagrante des obligations internationales de la Tunisie ainsi que du droit interne tunisien». Cette extradition met donc la Tunisie dans une très mauvaise posture internationale, dont le pays pouvait très bien se passer.

La décision du gouvernement tunisien a aussi créé un tollé dans le pays, où société civile et partis de l’opposition n’ont pas manqué de réagir. Néjib Chebbi (Parti Républicain) déclare sur les ondes d’Express FM  que « l‘extradition de Baghdadi va générer en Tunisie une grave crise de valeurs dont on n’a nullement besoin». Selim Ben Abdesselem, élu  à l’assemblée nationale constituante (Ettakatol), parle lui d’une quadruple faute : juridique, politique, stratégique et morale. Contrairement à son parti qui porte un soutien inconditionnel à la décision du gouvernement Jebali allant même jsuqu’à la légitimer, Selim Ben Abdesslem s’indigne sur sa page Facebook : «Ceux qui se cachent derrière une interprétation contestable des textes juridiques en s’y arrêtant devraient avoir honte. Le Chef du Gouvernement a commis un acte peu cautionnable et ceux qui lui ont apporté leur soutien ne se grandissent pas», et d’ajouter «Cette affaire confirme, notamment après l’épisode des nominations de Gouverneurs opérées sans aucune consultation, le peu de respect que peut avoir Nahdha pour ses partenaires de la coalition et pour les principes démocratiques élémentaires auxquels elle prétend adhérer». Une position qui ferait office d’exception dans le parti de Mustapha Ben Jaafer, dont le communiqué publié lundi soir, justifiant la décision du gouvernement Jebali a surpris plus d’un. De son côté, Chawki Abid, ancien conseiller de Moncef Marzouki, précise que ce dernier n’a pas le choix : soit il démissionne soit il démet Jebali de ses fonctions. «Les droits de l’Homme priment sur les fonctions et les intérêts de M. Marzouki, d’autant plus qu’il s’agit de l’un des principaux militants des droits de l’Homme dans le monde arabe et dans le monde» fait-il savoir.

Il est cependant bon de rappeler qu’entre la Présidence de la République et le gouvernement, il n’y a pas de divergence sur l’extradition de l’ancien responsable libyen, mais sur son timing et ses conditions. Moncef Marzouki a toujours affirmé que Mahmoudi sera extradé en Libye après l’organisation des élections libyennes afin qu’il ait la garantie d’un procès équitable.  Les élections libyennes auront lieu dans les prochains jours (le 7 juillet). Pourquoi le gouvernement s’est empressé de livrer Baghdadi Mahmoudi et sans consultation du Président de la République alors qu’il pouvait attendre quelques semaines ? Pourquoi le livrer à des personnes qui quitteront le pouvoir dans quelques jours au lieu d’attendre un gouvernement élu et légitime ? Un début de réponse, peut-être, dans les propos de Houssine Dimassi, ministre des Finances. Invité sur le plateau d’Hannibal TV pour l’émission « Essaraha raha », il n’exclue pas une contre partie financière à l’extradition de Baghdadi Mahmoudi. «C’est la politique» avance-t-il, «en politique y’a pas de valeurs,  il y a des intérêts ». Des propos qui méritent bien un éclairage du gouvernement.

Sarah Ben Hamadi
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Tunisie : Le spectre d’une crise politique après l’extradition de Mahmoudi

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