Tunisie : Human Rights Watch demande l’abandon des poursuites contre les artistes

 

human-right-watch-440_thumbDans communiqué rendu public le 3 septembre 2012, Human Rights Watch demande au procureur de la République d’abandonner les poursuites entamées contre les artistes dont les œuvres d’art, exposées dans le cadre du Printemps des arts au Palais Al Abdelia en juin dernier, ont été jugées «dangereuses pour l’ordre public et les bonnes mœurs».

«Les poursuites pénales contre des artistes pour des œuvres d’art qui n’incitent ni à la violence ni à la discrimination violent le droit à la liberté d’expression» a déclaré Human Rights Watch dans son communiqué. «À maintes reprises, les procureurs se sont servis de la législation pénale pour étouffer l’expression critique ou artistique», a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

«L’exposition se tenait du 1er au 10 juin dans un palais Abdelliya, à La Marsa. Le 10 juin vers 18 heures, trois personnes, dont un huissier de justice, demandèrent à un des directeurs de la galerie d’enlever deux peintures qu’elles jugeaient insultantes envers l’islam. Plusieurs prêcheurs, dans des mosquées de tout le pays, condamnèrent l’exposition artistique, certains appelant ouvertement leurs fidèles à mettre les artistes à mort en tant qu’apostats.» rappelle l’organisation. Des émeutes ont alors éclaté dans plusieurs endroits du pays.

Jelassi a déclaré à Human Rights Watch qu’elle avait reçu un coup de téléphone de la police judiciaire quelques jours après les incidents, l’informant qu’une enquête avait été ouverte sur les événements d’Al Abdelliya. Le 17 août, elle s’est rendue au tribunal de première instance de Tunis, à leur demande, et le juge d’instruction du deuxième bureau l’a informée qu’elle était accusée de « nuire à l’ordre public et aux bonnes mœurs » selon l’article 121.3 du code pénal. Le 28 août, le juge d’instruction l’a interrogée. «J’avais l’impression d’être au temps de l’Inquisition», a-t-elle déclaré à Human Rights Watch. «Le juge d’instruction m’a demandé quelles étaient les intentions derrière mes œuvres visibles à l’exposition, et si j’avais voulu provoquer les gens à travers ce travail».

Le comité des droits de l’homme des Nations Unies a proclamé que les lois interdisant les discours jugés irrespectueux envers une religion ou un autre système de croyances étaient incompatibles avec le droit international, en dehors des circonstances très limitées où la haine religieuse revient à inciter à la violence ou à la discrimination.

L’affaire est au moins la quatrième dans laquelle les procureurs se sont servis de l’article 121.3 du code pénal pour émettre des accusations pour des discours jugés contraires aux bonnes mœurs et à l’ordre public, depuis la constitution de la nouvelle Assemblée nationale constituante du pays, en novembre 2011. Le 28 mars, le tribunal de première instance de Mahdia a condamné deux internautes à des peines de prison de sept ans et demi pour avoir publié des écrits perçus comme insultants envers l’islam. Le 3 mai, Nabil Karoui, le propriétaire de la chaîne de télévision Nessma TV, était condamné à verser une amende de 2 400 dinars pour avoir diffusé le film d’animation Persepolis, dénoncé comme blasphématoire par certains islamistes. Le 8 mars, Nasreddine Ben Saida, éditeur du journal Attounssia, était condamné à verser une amende de 1 000 dinars pour avoir publié une photo d’une star du football enlaçant sa petite amie nue.

Le juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis a informé les deux artistes, en août, qu’ils étaient poursuivis en vertu de l’article 121.3 du code pénal. ce article définit comme un délit «la distribution, la mise en vente, l’exposition aux regards du public et la détention en vue de la distribution, de la vente, de l’exposition dans un but de propagande, de tracts, bulletins et papillons d’origine étrangère ou non, de nature à nuire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs».

«De nombreux Tunisiens s’attendaient à ce que des lois répressives comme l’article 121.3 ne survivent pas longtemps au dictateur qui les a fait adopter», déclare M. Goldstein. «Nous observons à présent que tant que le gouvernement provisoire ne se fixe pas comme priorité de se débarrasser de telles lois, la tentation est irrésistible de les utiliser pour réduire au silence ceux qui sont en désaccord ou qui pensent différemment».

Nadia Jelassi et Mohamed Ben Slama, dont les œuvres étaient montrées dans une exposition de La Marsa en juin 2012, pourraient écoper d’une peine allant jusqu’à cinq ans de prison s’ils étaient reconnus coupables. En soutien aux artistes, une campagne web dénonçant ces poursuites a été lancée sur les réseaux sociaux.

TK / communiqué

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