Tunisie : Mahmoud Baroudi, un ambitieux opposant

Eclats de voix à l’Assemblée constituante, sur des plateaux télévisés, Mahmoud Baroudi mâche rarement ses mots. Rencontre avec cet opposant au parcours politique mouvementé.

anc-mahmoud-baroudi-031212«Le gouvernement rédige une motion de censure contre le gouvernement et en particulier contre le Premier ministre». C’est ce qu’a annoncé sur sa page Facebook Mahmoud Baroudi, le représentant du nouveau parti l’Alliance Démocratique à l’ANC, à la suite des événements de Siliana. Connu pour ses sorties médiatiques fracassantes, ce député de la circonscription de Nabeul n’en est pas à son premier fait d’arme. En juillet dernier, il n’avait pas hésité à qualifier la Tunisie de « République bananière » à la suite du limogeage de Mustapha Kamel Nabli, le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, remplacé depuis par Chedly Ayari. Des mots que le jeune élu ne regrette pas : «Nous sommes dans un Etat qui ne respecte pas les institutions, dans un pays où les trois présidents se contredisent tous le jours. Si on veut instaurer une seconde république digne de ce nom, il faut respecter les institutions ».

Membre de la commission des martyrs et des blessés de la révolution, cet élu de 31 ans se définit comme «un homme de terrain». Un dossier qui «traîne» et «tant qu’on n’a pas mis en place une loi concernant la justice transitionnelle, on n’a pas atteint les objectifs de la révolution. Elle doit englober la question des martyrs et des blessés, mais aussi celle de la corruption, de la torture », poursuit celui qui a participé à la rencontre du 9 novembre organisée par l’association Al-Bawsala.

Cette association présidée par Amira Yahyaoui avait réuni quatre élus pour leur permettre d’échanger avec les habitants de Kabaria au sujet des travaux de l’Assemblée constituante. Mais lorsque cet habitué des plateaux télévisés se retrouve face à des citoyens désemparés, les mots manquent. «Cela fait mal au cœur, parfois on a envie de baisser les bras parce qu’il y a trop de défis. Mais en étant élu, on a accepté cette responsabilité. On le savait, mais on n’a pas toujours envie de le voir», s’excuse le président de la commission législative du secteur des services.

Du communisme au PDP, en passant par le CPR

La politique a toujours attiré ce père de famille. Mais son parcours est pour le moins atypique et peut sembler décousu. Dès son arrivée en France, il intègre les jeunesses communistes françaises à Paris en 2001. A l’époque, «l’idéologie n’avait pas d’importance» pour cet étudiant en économie-gestion à Paris 8, «c’était un cadre où on pouvait militer, s’exprimer. Le parti communiste soutenait la cause tunisienne, on organisait des colloques, faisait intervenir des opposants». Ayant grandi dans une Tunisie muselée, il évoque, avec nostalgie, ses premières années de militantisme. Une période «enrichissante». Rapidement, il a commencé à fréquenter les milieux de l’opposition tunisienne, se rendait aux débats de Moncef Marzouki, qui a été une figure déterminante de son engagement au sein du Congrès pour la République (CPR) l’année suivante, mais dont il critique aujourd’hui «le tempérament»: «on avait du mal à communiquer avec lui. Il était limite autoritaire. On ne pouvait pas avoir les mains libres et quand on se réunissait, c’était toujours ses idées qui primaient».

En 2004, Mahmoud Baroudi a participé à la campagne «le boycott [des élections, ndlr] pour en finir avec la dictature ». «Et on se réveille le lendemain matin et on voit que le taux de participation est de 90% et que Ben Ali est élu avec plus de 90% », souffle-t-il : «Cela a remis en cause notre stratégie. Pour militer, il fallait être en Tunisie, pas en France».

Chose faite. De retour en Tunisie, il rejoint le Parti Démocrate Progressiste (PDP) en 2006. Là encore, c’est la personnalité du leader du parti, Néjib Chebbi, qui le séduit. Et comme beaucoup d’opposants, il était ciblé par la dictature. Cet analyste en Bourse dit alors avoir été «obligé de démissionner». A partir de 2009, impossible pour lui de renouveler son passeport, ce qui l’empêchait de se rendre en France pour poursuivre sa thèse à l’EHESS, à Paris. «Il était très difficile de militer en Tunisie. Mais, je n’avais plus rien à perdre ». Il écrit alors pour le journal Al Mawkef du PDP, milite sur Facebook en déjouant la censure grâce à des proxys, jusqu’au déclenchement de la révolution du «17 décembre-14 janvier» comme il l’appelle. «Personne n’a tranché sur le nom de la Révolution», s’amuse-t-il. «Ce sont les dates du déclenchement et de l’aboutissement du renversement du régime, elles sont toutes les deux symboliques».

Depuis celui qui a été élu le 23 octobre dernier en tant que représentant du PDP a claqué la porte du parti de Néjib Chebbi pour fonder, avec neuf autres députés, l’Alliance Démocratique. « Ce n’est pas le positionnement politique du PDP qui nous a séparé, mais plutôt le côté organisationnel. On considère qu’un parti ne doit pas être un héritage familial. Malheureusement, il n’y a pas de vraie démocratie au sein de ce parti», dénonce Mahmoud Baroudi. Maintenant, il se rêve en Président de la République chaque fois qu’il se rase, comme il l’a déclaré sur Express FM, reprenant l’expression de l’ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy. Un large sourire s’étire alors sur son visage : «Je n’ai pas encore l’âge, mais j’ai le temps de me préparer ».

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