Tunisie – hôpital La Rabta: Témoignage DE L’ERNEST À LA RABTA : Balance entre dérives et excellence

L’hôpital La Rabta, un des centres hospitalo-universitaires les plus visités de Tunis et qui réunit et forme les meilleures compétences du pays, perd chaque jour de son aura. La qualification des médecins n’est nullement remise en question, mais c’est au niveau de l’accueil et du premier contact avec le visiteur et surtout le malade que tout dégringole…

Nous partageons avec vous dans ce qui suit, un témoignage récent et réel d’un citoyen qui a accompagné son proche malade à l’hôpital La Rabta et qui a assisté à des dérives qui peuvent ternir encore plus l’image du pays. Cela est d’autant plus triste que les compétences médicales font un excellent travail…

Le ministère de la santé devrait se pencher sérieusement sur le volet administratif et de la gestion des hôpitaux qui fait déjà fuir les meilleurs éléments  du personnel médical et para-médical et qui a des répercussions négatives sur leurs travaux. 

Témoignage : “DE L’ERNEST À LA RABTA” :

Jeudi dernier, vers 6h du matin, en arrivant au parking de l’hôpital où je devais accompagner l’un de mes proches, je ne savais point que nous allions vivre le parcours du combattant à l”’Ernest Conseil” (ancienne appellation de l’hôpital la Rabta) ou ma adraka min ”Rabta”, car il s’agit de ce prestigieux établissement qui fut un fleuron de la santé publique.

Déjà, de bon matin, les ”taxis” s’entassaient anarchiquement devant le portail de l’hôpital. Trouver une place pour se garer n’était guère de tout repos. Nous ne connaissions pas le service ”cardio” ou mon parent devait effectuer une exploration sur les coronaires.

Nous avons posé la question aux incalculables personnes en blouses blanches qui remplissaient la place. Certaines d’entres elles étaient assises sur les perrons des bâtisses, d’autres debout cigarette au bec, sirotaient le café matinal, ils semblaient attendre on ne sait quoi.

Autant vous dire que nous allions vers l’inconnu, car il n’y avait point d’accueil pouvant nous renseigner sur les lieux et les procédures à suivre. Nous qui avions pris rendez-vous, au service ”cardio”, on nous indiqua le chemin à suivre.

Les routes et allées étaient sales, les carrés de jardins, (vestiges de ce qu’ils furent), ne présentaient aucune fleur ni verdure.
Papiers, mégots et toutes sortes de déchets jonchaient le sol, un vrai dépotoir.

À se demander comment cette armada de personnes se dorant au soleil pourraient amortir leurs salaires. Si chacune d’entre elles le voulait, elles seraient venues à bout de toute cette calamité de saletés, sans beaucoup d’effort, il suffirait de se pencher pour ramasser les détritus.

Finalement, on arriva à ”bon port” au pavillon 13.
Dans le hall, il y avait déjà des patients venus du grand Tunis ou de l’intérieur du pays, certains d’entre eux étaient en chaises roulantes.
Dans cet espace, il y avait des sortes de guichets vides mais aucune indication.

Nous nous assîmes ‘en équilibre’ car les sièges disponibles étaient dans un piètre état (dos cassés, moitiés de chaises, …. ).
Nous étions rentrés dans cet univers, sensé panser les blessures, où l’hygiène devrait être reine et référence…

Au lieu de cela, le malade est confronté à la décadence, à la saleté et à certains infirmiers caractériels(elles), que le destin et le besoin avaient mis là.

L’enceinte était sale, délabrée, portes défoncées. On avait fait l’effort de changer les anciennes persiennes en bois par de l’aluminium, les greffant sur les anciens cadres en bois, cela donnait l’impression d’un collage d’enfants, tant le gris se disputait la vedette au bleu.

Le ”bon peuple” cassait et l’administration regardait faire et semblait peiner pour entretenir et réparer.

Nous restâmes là une bonne demi-heure avant de m’aventurer à poser la question à une ”blouse blanche” descendant d’autres escaliers. Elle nous informa que l’on devait se présenter à si ” Houssine ” au 1er étage.

Une fois sur place, nous tombions nez à nez avec le messie qui allait, enfin dissiper le stress et l’inquiétude qui commençaient à nous envahir.

Si Houssine, gobelet de café fûmant à la main, nous avertit, visiblement irrité et de mauvais poil, je le cite : ” chkoun kal bech ta3mlouha lioum, Hatta enchouffou famachi matériel” (traduit par : qui vous dit que l’opération sera faite aujourd’hui? il faut voir la disponibilité du matériel).

L’ambiance était surréaliste, toutes ces personnes, malades, fragiles du …. ”COEUR” venues de tous bords étaient restées ”bouches bées”, incapables de placer une syllabe.

Abasourdi par ces propos, je rattrapais le ”Houssine” qui semblait pressé de retrouver son ”douillet bureau”.
Je m’adressais à lui, pour lui faire savoir qu’il devait baisser le ton de sa voix ”polémique” car il s’adressait à des personnes malades et que le dit ”matériel” n’était point leur problème, car, ayant nos coordonnées, l’administration aurait pu nous avertir.

Il y avait des vielles personnes venues de Jendouba, Testour, et bien d’autres régions du pays.
Le ”Houssine” me répondit sans vergogne aucune : ”hedhika bledek” ! (C’est cela ton pays!)
Calmement, je lui répondis que, je me cite : ”blédi ma hich hakka, ahna habina erroudouha kima hya tawa” (Mon pays n’est pas comme cela, c’est nous qui avions fait d’elle ce qu’elle est maintenant) et j’enchaînais ”je vais, de ce pas alerter la presse pour qu’elle vienne voir ce cirque”…

Comme par miracle, le sieur ”Houssine” changea de ton et nous pria d’attendre.
Par la suite, il ira voir la personne que j’accompagnais pour lui dire que je ne l’avais point compris et que le personnel de l’hôpital, souffrait du manque de moyens.

Le personnel hospitalier commençait à arriver petit à petit, et vers 8h45 du matin, on commença à appliquer les procédures d’inscriptions, qui furent …. ”la croix et la bannière”.
J’allais donc inscrire et payer la redevance auprès de l’administration à l’entrée de l’hôpital.

La file d’attente était longue, les personnes s’agglutinaient devant le fameux guichet, sans masques, certaines voulaient doubler les autres personnes, habituées sans doute aucun, aux lois de la jungle.

Pendant l’attente, mon esprit s’égara vers l’histoire de ce temple de la médecine. Je regardais, avec douleur, cet acquis laissé par le colonialisme.
Ernest Conseil, celui là même qui a vaincu le typhus, a livré bataille à la peste et au choléra, dont les travaux sont gravés en lettres d’or dans ce temple de la médecine et de l’humanisme, est laissé en pâture à la vindicte des ”bénis hilels” modernes.

Après l’indépendance, alors que les dirigeants du pays avaient choisi l’ouverture, le modernisme et la science, La Rabta de son nouveau nom avait multiplié ses activités médicales.

Retrouvant mes esprits, je rejoignis donc mon parent après m’être emparé du talon de règlement, non sans m’être, auparavant, démené pour cela.
Il fut pris en charge par deux jeunes médecins qui devaient pratiquer sur lui l’acte médical en question.
Une fois passé le seuil du bloc opératoire, les choses changèrent comme par enchantement.
Tout marcha comme sur des roulettes, compétences, prise en charge du malade, matériel et cadre médical n’a rien à envier aux pays dits évolués.
Le coté technique et scientifique en Intra muros (bloc opératoire), est une vraie fierté pour le pays.
Chirurgiens et infirmiers tunisiens étaient des virtuoses, ils appliquaient leurs métiers comme des artistes, rassurants et sûrs de leurs gestes.

Les traces des pionniers de la médecine Tunisienne se mêlant à celles des médecins existants, reflétaient l’excellence du savoir-faire, cela se voyaient à l’œil nu.
Ce modernisme, cette compétence technique et médicale, tranchait avec la saleté, la désorganisation de l’administration et le laisser-aller scandaleux de certains infirmiers, un énorme paradoxe, un gouffre.

Le Tunisien a prouvé qu’il était capable du meilleur, en maîtrisant son comportement pour être le meilleur parmi les meilleurs.
Malheureusement, il peut être capable du pire dans les choses les plus élémentaires par une certaine mentalité rétrograde, puisée dans on ne sait quel abîme.
La misère et le sous-développement ne sont point une fatalité.

Une décennie a suffi pour détruire l’environnement du ”bloc opératoire”, faudrait que les uns et les autres se réveillent afin de préserver cet acquis si cher aux fondateurs de la République.
La compétence, le savoir faire et le savoir être ne sont pas exclusivement une question …. matérielle !

Samy Snoussi

 

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