Tunisie : 7, Impasse des Clichés

Le 7ème art tunisien est hanté par certains clichés rabâchés. Le réalisateur Moez Kamoun a implicitement manifesté son intention d’y échapper dans «Fin Décembre», son nouveau film actuellement à l’affiche des salles de cinéma de Tunis. A-t-il trouvé une issue de secours dans l’impasse des clichés?

«Fin décembre est né d’une réflexion sur la femme rurale et ses nouvelles préoccupations. Une femme active et qui essaye de s’en sortir malgré les entraves sociales et morales» souligne Moez Kamoun, réalisateur de «Fin Décembre». Ce long-métrage, d’une durée d’une heure et 44 minutes, est actuellement à l’affiche du CinémAfricArt au centre ville de Tunis, de la salle Amilcar à El Manar et de l’Alhambra du côté de la Marsa.

«A travers le personnage d’Aicha, une jeune fille frivole et naïve, j’ai voulu raconter l’histoire de ces villageois avec leurs amours, leurs déceptions et leurs espérances sans voyeurisme ni misérabilisme» poursuit le réalisateur dans sa note d’intention.

Moez Kamoun, réalisateur de «Fin Décembre», a implicitement effleuré la question des stéréotypes hantant la trame des films tunisiens, mais a réussi à éviter les clichés rabâchés par certaines de nos productions cinématographiques (si ce n’est la majorité). On regrettera cependant que son approche esthétisante n’a pas toujours échappé aux stéréotypes.

Aicha, le challenge remporté

Aicha (Hend El Fahem), l’un des personnages principaux du film, est une villageoise employée dans une usine de confection. Elle fume, sort avec un homme de son âge, met des jupes un peu courtes. Elle est à l’aise dans son corps, entretient une vie sexuelle et profite de son être comme elle peut. Le hic? La mentalité de la société dans laquelle elle vit l’empêche de croquer la vie à pleines dents.

Elle se retrouve enceinte après que son petit copain l’ait abandonnée. Et bonjour les problèmes. Aicha devrait avoir un mariage arrangé avec un jeune de son village résident en France (Lotfi El Abdelli). Mais il l’a boudée après qu’il ait découvert que les filles du bled ne sont pas aussi saines qu’il les imaginait. Re-bonjour les problèmes! Et voilà que son destin croise, entre-temps, celui d’Adam (Dhafer L’Abidine), jeune médecin mélancolique venu de la capitale pour travailler dans son village, échappant ainsi au lieu où il a vécu la déception de sa vie.

Tous souffrants, les personnages sont bien écrits et interprétés avec justesse. Moez Kamoun, réalisateur mais également auteur du scénario de «Fin Décembre» a réussi à «raconter l’histoire de ces villageois avec leurs amours, leurs déceptions et leurs espérances sans voyeurisme misérabiliste». Ainsi, sur ce plan-là, les clichés sont bannis. Mais c’est ailleurs qu’on trouve d’autres types de clichés.

Quand esthétique flirte avec cliché

«Fin décembre» a été tourné dans le village montagnard de «Takrouna» et d’autres bourgades situées dans ses alentours. Les lieux hôtes des scènes du film sont méticuleusement choisis. Mais il semble qu’un facteur dominant a été à l’origine de ce choix : l’esthétique. La trame du scénario s’est voulue minimaliste au niveau de la succession des événements. Résultats des courses? Le rythme est lent. Et ce, même si les plans d’une remarquable richesse esthétique sont variés, fruit d’un montage soigneusement mis en œuvre.

La lenteur du rythme a été comblée par de longues séquences louant la beauté du paysage. De quoi pimenter une sauce esthétique pas toujours au service du propos scénaristique. Et le cliché exotique est consolidé par une trame poétique frôlant l’overdose. Le jeune immigré est en pleurs suite à la rupture avec Aicha, femme à laquelle il n’a jamais été attaché. Et le médecin est également un musicien dont la virtuosité lui permet de jouer les compos musicales tout-de-même sophistiquées de Riadh Fehri, auteur de la bande originale du film. Et le poétisme exagéré atteint son apogée avec une chute tirée par les cheveux. Et c’est ainsi que «Fin décembre» est tombé dans le cliché poétique et esthétique.

L’exotisme, ingrédient nécessaire?

Pourquoi faut-il absolument avoir des images «exotiques» dont la fonction est juste d’ordre esthétique dans la quasi-totalité des films tunisiens? La médina avec ses ruelles et ses arcades, la campagne avec ses plaines et ses montagnes, les habits traditionnels et post-traditionnels, les corps métis dénudés et autres aspects «exotiques», sont-ils des ingrédients nécessaires aux yeux des cinéastes tunisiens?

S’agit-il de l’influence (un héritage quasi-colonial?) du cinéma français sur nos réalisateurs souvent formés dans l’Hexagone? Dans le dossier de presse de «Fin décembre», Moez Kamoun a été présenté comme réalisateur faisant partie de la «deuxième génération des cinéastes tunisiens». Visiblement, cette «deuxième génération» n’est pas parvenue à rompre avec les vieilles mauvaises habitudes d’une manière radicale. Vivement la nouvelle génération, et pourvu qu’elle soit la génération de la rupture!

Thameur Mekki

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