Tunisie : Par qui remplacer Haifa et Nancy à la radio ?

La bonne musique tunisienne existe. Mais elle est inaudible faute de diffusion de masse. Pourtant le banc des remplaçants est fourni ! Certains sont zappés par nos radios FM mais passent sur MTV ! Des quotas en faveur de la chanson tunisienne pourraient relancer une industrie musicale agonisante.

Notre papier sur l’omniprésence des starlettes libano-égyptiennes sur nos ondes FM (Interdire la radio à Haifa Wahbi et ses soeurs?) a suscité une avalanche de commentaires, dont certains, pour le moins inattendus. Des commentaires assez intéressants pour mériter une petite explication de notre part.

L’un de nos lecteurs a ainsi relevé que : «le contenu diffusé sur nos ondes répond au goût de la grande majorité des auditeurs bien éduqués par les chaines satellitaires arabes de l’orient ». Un autre internaute a fait remarqué : «La réponse à l’omniprésence de cette chanson moyen orientale de mauvaise facture n’est sans doute pas l’interdiction, mais plutôt la création et l’innovation. Il faut que les artistes Tunisiens sachent répondre aux besoins culturels de leurs concitoyens. L’interdiction est sans doute la pire réponse qui soit».

Le goût ? Il se façonne. Les tendances se créent et se renforcent à coup de matraquage médiatique. Et musicalement parlant, ce qui ne passe plus à la radio, n’existe simplement plus au niveau des masses. Mais… Les chaînes tunisiennes en particulier et arabes en général ont-elles attendu les phénomènes siliconés Nancy Ajram et Haifa Wahbi pour diffuser de la musique ? Ces chanteuses représenteraient-elles l’horizon indépassable de la production musicale arabe ? Seraient-elles vraiment irremplaçables ?

Mea culpa. L’usage du mot interdire est en effet un peu exagéré, vu qu’il ne s’agit après tout «que» d’une chanteuse de variétés (indépendamment de la qualité de ses chants). Quant à la création et l’innovation, les artistes de Tunisie n’en manquent pas. Tekiano a d’ailleurs publié assez d’articles sur la scène émergente tunisienne pour que nos plus fidèles lecteurs s’en rendent compte.

Sur le banc des remplaçants

Les artistes tunisiens novateurs, et qui savent répondre aux «besoins culturels de leurs concitoyens» ne manquent pas. On citera dans le désordre, «Si Lemhaf» qui décoiffe avec son electro-rock, Mounir Troudi qui remixe les mélopées bédouine pour en faire des plats musicaux épicés au goût du jour, Afrock un groupe presque inconnu en Tunisie, mais qui a signé avec les Américains de MTV. Un comble. Gultrah Sound System font souffler les vents chauds sur le rythme chaloupé du reggae sans avoir obtenu la reconnaissance FM.

Amel Mathlouthi commence un tant soit peu à passer à la télé, mais très rarement sur les ondes. Dans le même registre mais en plus fin et plus corsé, on appréciera les textes précieux et poétiques qui font des chansons de Badiaa Neyssatou des morceaux de choix. Le rock FM façon variétés a aussi des représentants en Tunisie, comme les Garby’s. Sympas et enlevées, leurs mélodies ne dépareraient pas les émissions matinales des nouvelles radios tunisiennes. Sans même parler de tous ces combos maghrébins comme les Gnawa Diffusion, les Hooba Spirit, HKayne…

Notre liste ne saurait en aucun cas être exhaustive. Des dizaines et des dizaines de groupes tunisiens s’autoproduisent et sont condamnés à rester dans l’ombre des starlettes libano-égyptiennes. Des centaines d’artistes maghrébins fleurissent sur des terreaux plus fertiles. Mais une chose est sûre : la bonne musique moderne et tunisienne existe. Nous l’avons rencontrée sur internet, (facebook et MySpace avant lui sont passés par là). Mais à l’heure actuelle, elle reste confinée dans les milieux les plus branchés. La nouvelle musique de Tunisie est coincée, faute de diffusion de masse. Pour la faire courte, la radiodiffusion lui fait défaut. Et à cet égard, il est toujours possible de corriger le tir. Les pouvoirs publics pourraient aussi avoir leur mot à dire, sur les choix musicaux des radios. En clair : la loi peut influencer le jeu, chambouler une donne que l’on croit irréversible. Des quotas en faveur de la chanson tunisienne pourraient relancer une industrie musicale agonisante. L’exemple français l’atteste.

Lotfi Ben Cheikh

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