Tunisie : Le gouvernement souhaite-t-il une réforme des médias ?

Encore une erreur de casting ou simple bévue ? Parmi les représentants tunisiens présents lors du colloque de l’Unesco pour la liberté de la presse, certains étaient absents ou faisaient figure d’intrus. La Tunisie a-t-elle été vraiment bien représentée ?

Samir Dilou et Meherzia Labidi étaient les grands absents du dernier panel du colloque «Les nouvelles voix» organisé à l’occasion de la journée mondiale de la presse. Remplacé par Lofti Zeitoun, l’absence de Samir Dilou a posé question tout comme celle de Farida Labidi et d’Ajmi Loumri aux panels de la veille. Il semble que le gouvernement n’ait pas jugé bon d’élargir sa participation au -delà du discours de Monsieur Jebali le jeudi 3 mai. Adnene Kheder, PDG de la télévision a été remplacé in extremis tandis qu’un des anciens directeurs de l’ATCE, Slaedine Maaoui et actuel directeur général de l’union de radiodiffusion des états arabes (ASBU) a aussi été invité. Outre ces petits dérapages, le premier Ministre Hamadi Jebali a fait des promesses sur l’avenir du secteur public visant à rassurer l’auditoire, or lors de la table-ronde sur la feuille de route à suivre pour la Tunisie, le constat a plus porté sur la lenteur du processus de réforme où le dialogue entre la société civile et le gouvernement semble être au point mort comme le récent boycott de la consultation nationale.

A la recherche d’un service public

atce-11052012-230Réformer la télévision nationale, la question a été plusieurs fois évoquée et pourtant le projet peine à émerger. La question était incontournable au regard de l’actualité, seulement le PDG de la Télévision Nationale, attendu pour deux colloques ne s’est pas présenté. Son remplaçant a présenté au public l’image d’une télévision en crise, semblable à « un navire dans les hautes mers qui cherche à arriver à bon port ». En cause : le statut juridique encore trop flou aussi bien au niveau du secteur privé que du secteur public. Il a aussi mis en avant les problèmes de financement que connaissent la chaîne et son manque de moyens. Mais rien ne semble avoir été dit sur la réforme interne et la recherche d’une ligne éditoriale indépendante. A la question « est ce normal que le PDG de la télévision nationale soit aussi élevé au rang de secrétaire d’état par Monsieur Jebali dans le cadre d’une transition démocratique», celui-ci a répondu qu’il « s’agissait d’une simple formalité administrative » puis s’est dit lui-même « surpris de cette décision ». Quant au secteur privé il semble quasi absent des débats alors qu’il a une importance dans l’application des décrets lois 115 et 116. Quelle voie suivre ? L’expérience française a été mise en avant comme exemple et non modèle à suivre du passage d’une télévision étatique à un service public. Pour Rachid Arhab, membre du CAS (Conseil Supérieur de l’audiovisuel Français) la fin du monopole d’état est une longue route et la notion même de service public évolue. « L’indépendance ne se décrète pas. Mais l’indépendance doit surtout être soutenue en Tunisie par le spectateur. ». Pour Lotfi Zitoun « il existe une forte pression sur le gouvernement pour appliquer le décret loi et il y a une tentative d’organiser des colloques pour aller au-delà de ces pressions.» Le chargé politique de Monsieur Jebali a aussi affirmé que la « Presse était sévère avec les autorités mais pas les hommes d’affaires ». Ces interventions montrent bien une tendance à la victimisation des deux côtés sans volonté réel de changement. Chacun semble se rejeter la responsabilité tandis que les réformes juridiques continuent de se faire attendre, comme l’a souligné l’INRIC (instance Nationale pour la réforme de la communication) dans un récent communiqué où elle appelle à l’application des déclarations officielles faites le 4 mai.

La lente transition

atce-11052012-230-1Plus qu’une question de volonté politique, la réforme est aussi à faire du côté des journalistes comme l’a souligné l’ancien directeur de la Radio Nationale Habib Belaïd « Au lendemain de la révolution nous nous sommes retrouvés dans une situation où l’on pouvait tout dire à l’antenne, liberté extrême et dangereuse. Il faut donc aujourd’hui des formations et un changement de mentalités pour une réforme. Mais une chose est sûre, les journalistes ne doivent jamais appartenir à quiconque.» L’autre constat est l’éloignement progressif entre les institutions de la société civile et le gouvernement comme l’a souligné la cyber-activiste Mouna Ben Halima membre des associations Bus citoyen et Touensa. Celle-ci a insisté sur le manque de transparence de l’Assemblée Nationale Constituante dans l’accès aux informations. Quant à l’Institut Panos qui travaille avec le Syndicat des journalistes, leur représentante a pointé le fait que le syndicat avait eu accès à peu d’informations de la part du gouvernement pour finaliser son rapport. Opacité et manque de transparence, le droit à l’information du citoyen consacré dans le décret 41 du 26 mai 2011 permettant au « citoyen d’accéder aux documents administratifs et aux données publics » ne semble pas été avoir consacré. L’occasion de cette journée mondiale de la presse a été avant tout l’occasion de rappeler à tous l’importance de l’inscription du droit à l’information consacré par la loi mais aussi de mettre en place tout ce qui a été annoncé comme l’a rappelé l’association Article 19: une chaîne parlementaire pour suivre les débats à l’assemblée, une instance de régulation audiovisuelle indépendante, un cadre juridique qui définit précisément les missions d’un service public, la dépénalisation des délits de presse, l’indépendance des journalistes et des organes de pouvoirs sur les médias. En outre la réconciliation entre la société civile et le gouvernement ou du moins la tentative d’une concertation qui réunisse tous les acteurs des médias (le secteur prié compris) semble plus que jamais nécessaire. Pour ce faire, peut-être qu’une attention devrait d’avantage être portée sur les acteurs des médias et les nouveaux arrivants afin d’arrêter d’introduire dans les colloques ou conférences des anciens défenseurs du régime de Ben Ali ou employés de l’ATCE qui ne représentent plus le paysage médiatique en transition.

Lilia Blaise

Crédit photo Lotfi Ben Sassi 

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