Tunisie : Marzouki ouvre le feu contre Ennahdha, le PDP, et Ettakatol

Moncef Marzouki s’attaque aux plus importants partis de Tunisie, à savoir Ennahdha, le PDP, et Ettakatol. En ligne de mire, les millions de dinars dépensés pour leur campagne électorale. Le dirigeant du CPR s’interroge : «Après la corruption de la dictature, allons-nous passer à la corruption démocratique» ?

La Lettre ouverte de Moncef Marzouki, le leader du Congrès Pour la République (CPR), marquera à coup sûr les esprits à quelques semaines des élections de la Constituante du 23 octobre. L’homme s’attaque ouvertement au financement des plus importants partis de Tunisie, à savoir Ennahdha, le Parti Démocratique Progressiste (Pdp), et Ettakatol. Il s’interroge : «Après la corruption de la dictature, allons-nous passer à la corruption démocratique» ?

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M. Marzouki aligne ainsi les cas flagrants de non-respect des règles démocratiques. Relevant qu’à Kasserine, l’embauche dans certaines sociétés est liée à l’adhésion à tel ou tel parti. En une allusion à peine voilée aux mariages collectifs organisés par le parti de Rached Ghannouchi, il rappelle que la charité ne saurait être tapageuse, et qu’elle est censée s’effectuer dans la discrétion si on veut véritablement respecter les préceptes de l’Islam. Pis : il s’agit là, selon M. Marzouki, d’une tentative d’acheter les consciences, et d’influencer indument les électeurs. Une attaque aussi précise que féroce.

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Les campagnes d’affichages du PDP ou d’Ettakatol ? «S’ils ont trop d’argent, qu’ils l’investissent plutôt dans l’organisation de rencontres et de formation ouvertes à tous. Ils permettront ainsi à tous les partis de discuter de leurs programmes, pour donner à la démocratie toutes ses chances».

Au centre des débats, donc, le financement que ces partis ont su drainer, et qui fausse, selon M. Marzouki, les règles démocratiques.

Faut-il rappeler qu’à cet égard, la position du CPR sur la loi du financement des partis n’a pas brillé par sa clarté ? Trop nombreux sont ceux qui ont attribué le refus de ce parti à un alignement sans condition sur les thèses d’Ennahdha. A qui la faute ? Aux adversaires politiques qui ont savamment entretenu la confusion ? Mais depuis quand, une bataille électorale est-elle une promenade de santé ? Les coups (même les plus bas) fusent, et malheur à ceux qui ne savent pas encaisser, et contre-attaquer.

Faire passer le message

Les 10 millions de Tunisiens ne sauraient tous être des politologues, à même d’analyser, et de cerner précisément les forces et faiblesses des programmes de la centaine de partis politiques. Une réalité valable pour la plupart des pays du monde. Or avec la profusion des canaux médiatiques, il s’agit aussi de se distinguer, de faire (convenablement) passer le message.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, il nous a été difficile de retrouver cette fameuse lettre, pour cause de panne (momentanée) sur le site web de Moncef Marzouki. Ce qui restreindra, on en conviendra, sa diffusion, aussi brillante et intéressante soit-elle.

Les propos de Moncef Marzouki sont la plupart du temps aussi percutants que pertinents. Les analyses de l’homme sont d’une rare finesse, d’une profondeur peu commune dans un paysage politique marqué par la platitude de ses représentants. Encore faut-il que ça se sache. Sans que le message que le militant historique des droits de l’homme ne soit injustement déformé, distordu, par des médias pas nécessairement bienveillants. Une situation qui prévaut non seulement encore en Tunisie, mais aussi dans des pays dont la tradition démocratique est plus enracinée.

Moncef Marzouki le regrette : «Comme si les partis étaient devenus des entreprises politiques commercialisant leur programme comme on vendrait des yaourts ou des parfums» dit-il. Une déclaration qui revient comme un leitmotiv dans le discours de l’homme politique puisqu’il l’a même répétée, sur le petit écran. En clair : le dirigeant du CPR refuse de se plier aux règles de la com’. Il en fait même une question de principe.

Experts en com’ recrutés à prix d’or

Mais la réalité que le militant met à nu, reste tout de même une réalité. Et «les faits sont têtus», a affirmé un illustre politicien russe du début du 20ème siècle. La campagne présidentielle de Mitterrand, en 1981, soit il y a 30 ans en arrière, a ainsi été dirigée, côté com’, par Jacques Séguéla. Qui vend par ailleurs des yaourts, justement, n’en déplaise à M. Marzouki. Le volet marketing est encore plus flagrant dans la démocratie américaine, où les lobbies versent ouvertement des millions de dollars au candidat qui défendra le mieux leurs intérêts. Et en Tunisie, les partis descendus en flamme par le dirigeant du CPR bénéficient du savoir-faire (relatif) des plus grandes agences de com’ de la place. Deux partis parmi ceux évoqués, ont même recruté à prix d’or des spécialistes de la communication politique actifs dans le Golfe, en France, et même dans d’autres pays européens. Il sera donc clairement difficile de les concurrencer, avec les maigres moyens du bord, dont dispose le CPR.  A moins de disposer d’une armada de facebookeurs, dévoués corps et âme et réunis autour d’une cause commune. Après tout, n’est-ce pas ainsi que la voix de la Révolution Tunisienne a eu des échos dans le monde entier ? Encore faut-il savoir frayer son chemin dans la jungle du Community Management et du web tunisien. Et à voir l’état des pages internet dédiés à la cause du CPR, force est de constater qu’il ne s’agit pas de l’un des points forts de ce parti, (désolé, Houssein Ben Ameur). Encore une question de com’.

Nous apprécions et admirons pourtant au plus haut point un homme comme Moncef Marzouki. Pour sa probité, son intégrité, et même pour la finesse des livres dont il est l’auteur. Ses œuvres s’échangeaient en effet sous le manteau à l’ère de Zaba. Mais à force de zapper délibérément le volet communicationnel, nous risquons d’être les seuls (avec quelques militants du CPR) à apprécier toutes ces qualité. Dommage pour M. Moncef Marzouki. Et pour la Tunisie.

Lotfi Ben Cheikh

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